La tragédie de l’euro ! 
	 
	C’est le titre du livre du professeur d’économie Philipp Bagus et celui de 
	la pièce qui se joue en ce moment dans la zone euro. Le prochain acte 
	devrait aboutir à une renégociation du plan de sauvetage accordé à l’Irlande 
	par l’Union Européenne (UE) et le Fonds Monétaire International (FMI), et en 
	particulier à la révision à la baisse du taux d’intérêt – jugé « punitif » 
	(5.8%) – demandé par ces institutions en échange d’un prêt de 85 milliards 
	d’euros. Au cœur de l’intrigue se trouve le devenir de l’euro, sur lequel 
	planent les plus grandes incertitudes. 
	 
	Comme Bagus l’explique dans son livre publié fin 2010, l’histoire de l’euro 
	pourrait être courte tant cette monnaie fait l’objet d’un phénomène 
	dévastateur pour sa conservation, celui de la pâture commune. Ce phénomène 
	économique, décrit dès 1968 par Garett Hardin, explique comment une 
	ressource perd de sa valeur, voire disparaît du fait de sa surexploitation, 
	lorsque des droits de propriété sont mal ou pas définis. Par exemple, le 
	libre accès à une prairie commune conduit à sa sur-utilisation par des 
	éleveurs ayant intérêt à y faire paître le plus grand nombre d’animaux. 
	Faute d’assumer individuellement les conséquences de leurs actes, 
	c’est-à-dire d’avoir à supporter le coût d’entretien et de réfection d’une 
	prairie qui ne leur appartient pas, ils n’auront pas tendance à se comporter 
	en investisseurs à long terme. C’est ainsi que rapidement la prairie, 
	surexploitée, devient inexploitable pour la pâture. 
	 
	Pour Bagus, l’euro subit malheureusement le même phénomène. Il est géré de 
	manière à inciter les différents Etats membres de l’UE à adopter des 
	comportements de cavalier seul diminuant in fine les qualités de la monnaie 
	européenne. C’est ainsi qu’il se révèle progressivement comme une réserve de 
	valeur de piètre qualité. Il y a lieu de craindre que l’euro – qui a déjà 
	perdu 1/5ème de sa valeur depuis sa création – ne soit plus à terme un 
	intermédiaire d’échange efficace si ce phénomène de perte de valeur 
	s’accélère.
	Or le Système monétaire européen (SME), avec son unique banque centrale 
	(la BCE), permet justement aux divers Etats membres de l’Union de gonfler 
	leurs dettes et déficits à coup de création monétaire, détériorant le 
	pouvoir d’achat de l’euro. 
	 
	Ce phénomène de pâture commune et de cavalier seul est nouveau. Avant la 
	mise en place de l’euro, chaque pays de la zone euro gérait sa monnaie de 
	façon relativement indépendante et pouvait ainsi en créer en fonction des 
	objectifs politiques du moment. Pour autant, il existait une force de 
	rappel. Au sein de la communauté européenne, la Bundesbank allemande jouait 
	le rôle de gendarme des monnaies. Son comportement moins inflationniste 
	obligeait les pays plus laxistes à dévaluer régulièrement leur devise. La 
	concurrence entre banques centrales permettait de réguler l’inflation au 
	sein de l’Europe. 
	 
	Ce système fonctionnait, mais il avait le défaut d’induire des variations de 
	taux de change, présentées comme un frein aux échanges. L’euro visait à 
	atteindre la quadrature du cercle, en empêchant à la fois fluctuations 
	monétaires et apparition d’inflation. C’est en tout cas ainsi que la chose 
	fut vendue. 
	 
	La mise en place de l’euro fut une aubaine pour les Etats structurellement 
	déficitaires, comme la Grèce, l’Espagne ou le Portugal, qui eurent accès à 
	des taux d’intérêt beaucoup plus faibles qu’auparavant. Bénéficiant de la 
	bonne réputation que la rigueur allemande donnait à l’euro, ces pays ont pu 
	s’endetter à des niveaux jusque-là jamais atteints. C’est ce qui explique 
	par exemple le gonflement de bulles immobilières. C’est aussi ce qui 
	explique l’explosion de l’endettement public et les risques inflationnistes. 
	En effet, lorsqu’un gouvernement fait du déficit, il émet des bons du 
	trésor. Une part importante de ces bons, pouvant servir de garantie pour 
	l’octroi de prêts de la BCE, est achetée par les banques. 
	 
	Comme le décrit Bagus, « les banques créent de la monnaie via le système de 
	réserve fractionnaires. Elles achètent alors les bons du trésor émis par le 
	gouvernement et les utilisent pour se refinancer auprès de la BCE et obtenir 
	ainsi de l’argent frais. ». Ceux qui obtiennent les nouveaux prêts en 
	résultant sont avantagés. Ils sont dans la position d’acquérir des biens et 
	des services à des prix inférieurs à ceux qui prévaudront une fois que la 
	nouvelle monnaie créée sera diffusée dans l’économie et que les effets 
	inflationnistes se seront fait sentir.  
	 
	Les effets de la création monétaire ne se limitent donc pas aux bulles. La 
	création monétaire entraine une redistribution en faveur de ceux qui 
	reçoivent la monnaie en premier, en l’occurrence les pays les plus 
	déficitaires, au détriment des pays qui ne la reçoivent qu’après. Cela crée 
	une incitation perverse à s’endetter le plus rapidement possible, pour 
	bénéficier d’avantages à court terme via un processus mettant à mal à moyen 
	terme la valeur de la monnaie commune. 
	 
	Cet enchaînement est d’autant plus pervers que les pays déficitaires perdent 
	progressivement leur compétitivité, sans possibilité de rééquilibrage via la 
	dévaluation de leur monnaie. Bagus montre qu’un pays comme la Grèce a 
	maintenu, grâce à l’euro, des salaires et des allocations chômages trop 
	importants, en creusant son déficit et en créant de la monnaie via la BCE. 
	De même, il a fait croître son secteur public de façon presque incontrôlée.
	 
	 
	L’euro a permis le développement de ces déséquilibres et est aussi un frein 
	à leur résorption. Il faudrait que les salaires réels grecs puissent baisser 
	pour redevenir compétitifs vis-à-vis d’autres pays comme l’Allemagne. Or cet 
	ajustement est plus difficile dans le cadre d’une monnaie commune, puisqu’il 
	passe par une baisse des salaires nominaux, là où les Grecs avaient 
	l’habitude, dans le passé, de dévaluer leur monnaie. L’euro contribue à 
	emprisonner les travailleurs grecs, peu enclins aux changements, dans leur 
	manque de compétitivité à long terme. 
	 
	Les choses n’ont guère changé avec la crise financière. Un certain nombre 
	d’acteurs ont pris conscience du danger de la situation, et les autorités 
	s’évertuent à sauver coûte que coûte l’euro, quelles qu’en soient les 
	conséquences. La question n’est pourtant pas de savoir s’il est encore 
	possible de sauver l’euro, mais quel euro on veut sauver. Le choix est plus 
	que jamais entre réformes de fond et inflation.  
	Cécile Philippe 
  
	 
	 
	 
	 
	 
	 
	
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