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21/2/11 Thierry Desjardins

  Un ambassadeur qui se conduit comme un voyou !

En principe, un ambassadeur de France représente la France dans le pays où il est accrédité. On imagine donc qu’il a une certaine dignité, voire un peu d’allure.

Dans bien des régions de la planète, la France est encore (était encore ?) considérée comme une grande nation. Notre culture, notre histoire, le souvenir de De Gaulle, notre siège permanent au Conseil de Sécurité de l’Onu, notre place de cinquième puissance mondiale nous donnent encore aux yeux de quelques-uns un certain prestige, même si notre déconfiture économique et une accumulation d’erreurs politiques récentes ont considérablement terni notre image.

Pour des raisons professionnelles, j’ai beaucoup fréquenté nos ambassadeurs tout autour du monde pendant plusieurs décennies. Le plus souvent, j’ai rencontré des hommes de grande qualité. Certains étaient peut-être un peu somnolents mais, pour la plupart, ils étaient animés par la conscience de leur mission et réussissaient tant bien que mal à sauver les apparences. Nos ambassadeurs ne méritent sans doute pas le mépris ironique dont ils sont victimes depuis quelques années.

Seulement voilà, un ambassadeur de France représente aussi le chef de l’Etat. D’abord, parce qu’il est nommé en Conseil des ministres par l’Elysée, ensuite, parce que, consciemment ou non, il se croit généralement obligé de singer le président de la République. J’ai connu des ambassadeurs qui avaient successivement pris la voix de De Gaulle, adopté la bonhommie tout en rondeurs de Pompidou, joué la fausse élégance pointue de Giscard, porté le chapeau de Mitterrand et qui vous servaient de la tête de veau chiraquienne.

Alors, bien sûr, aujourd’hui, c’est la catastrophe.

A peine arrivé à Tunis, notre nouvel ambassadeur est conspué par les foules tunisiennes. C’est la première fois dans l’histoire de la diplomatie française que des manifestations populaires ont lieu pour réclamer le départ d’un ambassadeur de France. « Boris, casse-toi ! », « Boillon, dégage ! » scandaient, hier, les Tunisiens devant notre ambassade.

Pourquoi ? Tout simplement parce que Boris Boillon s’est conduit comme un voyou en traitant plus bas que terre, avec un mépris stupéfiant, la presse tunisienne devant laquelle il se présentait, et en utilisant un vocabulaire de loubard. Il a refusé de répondre « aux questions à la con » qu’on lui posait, il s’est prétendu « d’un autre niveau » que ses interlocuteurs et a fini par partir en claquant la porte. Naturellement, l’enregistrement de cette scène pitoyable a immédiatement été diffusé en boucle sur Internet.

L’imbécile ! Arrivé de Bagdad où, entouré de gardes du corps, il jouait au Rambo devant les caméras complaisantes, Boillon n’a pas compris qu’aujourd’hui l’ambassadeur de France à Tunis était dans une situation un peu délicate. Il lui faudrait faire oublier les liens intimes de Paris avec le régime de Ben Ali, la stupéfiante déclaration d’Alliot-Marie devant l’Assemblée proposant à Ben Ali le « savoir-faire » de la police française pour réprimer les manifestations et, plus encore, les vacances « d’affaires » de la même ministre des Affaires étrangères pendant les fêtes, aux frais d’un oligarque du régime chancelant avec lequel ses propres parents faisaient du business.

Boillon aurait donc dû « la jouer modeste », un rien contrit et, en tout cas, charmeur et… bien élevé. Comme un ambassadeur de France.

Hélas, au lieu d’avoir été formé à l’ENA et au Quai d’Orsay, Boillon a fait ses classes au ministère de l’Intérieur comme conseiller de Nicolas Sarkozy, puis à l’Elysée. Toujours dans l’ombre du même. Il est ce qu’on pourrait appeler un « bébé Sarko ». Il se croit donc tout permis, joue les casseurs, aime faire de la provocation, méprise la terre entière, se ridiculise et se fait immédiatement détester.

Il se vante de ne pas avoir « le style Quai d’Orsay ». En effet, il a « le style Sarkozy ».

L’attitude de la France devant les événements tunisiens a d’ailleurs été un exemple parfait de ce style sarkozien. D’abord, l’Elysée, ignorant totalement le dossier, n’a rien vu venir, ensuite on a multiplié les déclarations « coups de menton » à contretemps, enfin on a étalé sans pudeur le goût du « fric », des vacances aux frais des milliardaires et les liens qu’on avait tissés avec les corrompus.

Boillon ajoute la petite touche, typiquement sarkozienne, de la vulgarité méprisante.

Aujourd’hui, Sarkozy se vante des débuts du G20 (où l’on s’est contenté d’annoncer qu’on allait… établir la liste des problèmes à résoudre), mais en moins d’une semaine, par ses maladresses de casseur d’assiettes, il a réussi à nous fâcher avec le Mexique et la Tunisie.

Certains font déjà le bilan économique et social du quinquennat. Le bilan diplomatique ne sera guère meilleur.

Thierry Desjardins



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