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21/10/10 Thierry Desjardins
               Ca sent très mauvais !

Tous les historiens nous ont toujours raconté que de Gaulle n’avait rien compris à mai 68. C’est sans doute vrai. Mais bien malin serait, aujourd’hui encore, celui qui pourrait nous expliquer pourquoi et comment ce petit monôme d’étudiants de Nanterre a dégénéré en (mini) révolution et est entré dans l’histoire comme l’une des pages essentielles de notre deuxième moitié du XXème siècle.

En avril 68, Le Monde avait écrit que la France… s’ennuyait. Les Français étaient trop heureux. Ils connaissaient la paix depuis six ans, depuis la fin de la guerre d’Algérie en 1962, après avoir connu la guerre pendant vingt-trois ans (la deuxième guerre mondiale, l’Indochine et l’Algérie), c’étaient encore les « Trente glorieuses » et leur plein emploi, la France avait été reconstruite, elle n’était plus un pays rural, elle était devenue un pays industriel où chacun (ou presque) avait sa voiture, son frigidaire et bientôt sa télévision. Jamais les Français n’avaient connu un tel bien-être, un tel confort. Et, de plus, grâce à de Gaulle, la France avait retrouvé un immense prestige à travers le monde entier. Mais c’est vrai, la France s’ennuyait un peu, précisément faute de drames et de problèmes.

Est-il besoin de dire qu’aujourd’hui la situation est bien différente ? La France ne s’ennuie pas, elle se désespère. Le chômage, la précarité, l’insécurité, les déficits, l’augmentation des prélèvements obligatoires, la baisse de la protection sociale, les dangers du communautarisme, nous sommes cernés par les problèmes qu’on nous dit insolubles et, plus grave encore, nous n’avons plus d’autre avenir que la décadence et la France est devenue ridicule à la face du monde par la faute de Sarkozy.

La désespérance provoquera-t-elle les mêmes effets que l’ennui ? C’est la grande question d’aujourd’hui à laquelle personne, bien sûr, n’est capable de répondre avec certitude, même si j’avoue faire partie de ceux, de plus en plus nombreux, qui pensent que « ça sent très mauvais » et que « ça pourrait bien finir par péter ».

Mais ce qui est intéressant au-delà de toutes ces spéculations forcément fumeuses, c’est de se souvenir comment le pouvoir de 68 a réagi et a su faire face à cette situation qui lui échappait.

De Gaulle n’a peut-être rien compris à la chienlit généralisée mais il a compris qu’en disparaissant pendant vingt-quatre heures il provoquerait un électrochoc à travers tout le pays, que tous ses partisans (et tous les ennemis du désordre) se réveilleraient et qu’il pourrait donc reprendre la situation en main. Ce fut le fameux voyage à Baden-Baden qui permit ou provoqua le non moins fameux rassemblement de plus d’un million de personnes qui remontèrent les Champs Elysées en scandant « Vive de Gaulle ! Non à la chienlit ! ».

Peut-on imaginer aujourd’hui que si Sarkozy s’embarquait secrètement pour vingt-quatre heures à bord du yacht de Bolloré, des centaines de milliers de Français remonteraient les Champs Elysées pour passer devant le Fouquet’s en hurlant « Vive Sarkozy ! » ? A priori, non.

Sarkozy n’est pas de Gaulle, on le savait depuis longtemps et il est un peu injuste de le lui reprocher.

En fait, il est surtout intéressant de se souvenir de ce que fut l’attitude de Georges Pompidou, qui fut celui qui « géra » vraiment la crise. Normalien, il avait mieux compris que de Gaulle que ce chahut des étudiants révélait un vrai malaise qui pouvait remettre en question notre société. Il était donc prêt à faire, sur ce plan, des concessions. Mais, banquier, il n’avait qu’une angoisse : que le monde ouvrier ne se mette à suivre ces « gamins » sur le chemin d’une révolution plus ou moins maoïste. Il négocia donc avec les syndicats, eux aussi affolés, pour leur permettre de reprendre leurs troupes en main.

Là, aucun rapport avec la situation d’aujourd’hui. En 68, les syndicats se firent les complices du pouvoir, aujourd’hui ce sont eux qui mènent le combat contre le pouvoir.

Mais plus importants encore furent les deux mots d’ordre de Pompidou : « Je ne veux pas un mort et je veux que Paris soit ravitaillé. Pour le reste, nous verrons plus tard ». Pendant toute la crise, il répéta inlassablement ces deux phrases à la poignée de fidèles qui restait autour de lui à Matignon.

Pompidou savait que la mort d’un étudiant ou d’un ouvrier au cours d’une manifestation aurait des conséquences incalculables (vingt ans plus tard, la mort de Malek Oussekine, pendant la cohabitation Mitterrand-Chirac, fut une catastrophe pour Chirac) et que si Paris avait faim, le pire devenait inévitable. Il n’y eut pas un mort pendant les « événements » et Paris n’eut jamais faim.
Il est évident qu’aujourd’hui ces deux mêmes mots d’ordre s’imposent. Pas un mort, pas un « pépin » et que Paris n’ait jamais faim.

Cela suppose, de la part du pouvoir, une totale maîtrise de lui-même et des forces de l’ordre. Mais cela exige aussi que le pouvoir garde une discrète complicité avec les transporteurs qui ravitaillent la capitale.

Certes, la situation n’est pas (encore ?) dramatique. Mais les coups de menton de Sarkozy, les moulinets de Brice Hortefeux, les rodomontades d’Estrosi, Morano et autres sont inquiétants. Ce n’est vraiment pas le moment de jouer aux cow-boys !

Thierry Desjardins

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