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17/1/11 | Thierry Desjardins |
Ces millions de Français qui ne veulent
plus de la "dictature UMPS" ! Il paraît que Marine Le Pen qui succède officiellement à son père à la tête du Front national pourrait dépasser les 17%, voire même frôler les 20% aux présidentielles de 2012. Qui s’en étonnerait ? Il faut être victime de la cécité de nos grands « spécialistes » pour ne pas voir que la France va mal et que les Français, effrayés par l’augmentation du chômage, de la précarité, des prélèvements obligatoires, de notre dette, de nos déficits, de l’insécurité, du mal logement et, en même temps, par la disparition programmée de l’assistanat, en ont plus qu’assez de la droite au pouvoir depuis 2002 (« Dix ans, ça suffit » criaient les jeunes en 68) et ne croient pas un seul instant aux promesses de la gauche. Il est absurde de dire, comme le font certains, que « les Français basculent dans le fascisme ». Jamais, dans le passé, un seul électeur de Le Pen n’a imaginé, une seule seconde, que le patron-fondateur du FN pourrait être élu président de la République. Pas même quand, en 2002, ils furent 4, 7 millions. Pour s’en tenir à ce fameux premier tour d’avril 2002, on peut dire que les électeurs de Le Pen ressemblaient à s’y méprendre aux électeurs d’Arlette Laguiller (1,6 million), de Jean-Pierre Chevènement (1,5 million), de Noël Mamère (1,4 million), d’Olivier Besancenot (1,2 million), de Jean Saint Josse (1,2 million) ou de Alain Madelin (1,1 million) auxquels il faut ajouter les 3,3 millions de Français qui votèrent pour Hue, Mégret, Taubira, Corinne Lepage, Boutin ou Gluckstein. Pas un seul d’entre eux ne se faisait la moindre illusion sur les chances de son candidat. Mais aucun ne voulait voter ni pour Chirac, ni pour Jospin ni même pour Bayrou. Leurs votes n’avaient rien à voir avec le choix d’un candidat pour la magistrature suprême. Ces votes n’étaient que des cris de colère, de rage. Si on fait l’addition - et il faut la faire - cela veut dire que 16 millions de Français rejetèrent, au premier tour, les candidats « plausibles ». Sur 29,5 millions de votants. Auxquels on peut ajouter une bonne part des 12,4 millions d’abstentionnistes. Autant dire qu’une écrasante majorité de Français ne voulait ni du candidat RPR, ni du candidat du PS ni du candidat centriste. Tout le reste n’est que balivernes. Ce constat est, évidemment, catastrophique. Sur 41 millions d’électeurs inscrits, 12 millions seulement votèrent pour un candidat dit « sérieux ». Ce qui veut dire que, désormais, on peut être élu président de la République après n’avoir recueilli que 15% des inscrits lors du premier tour. Peut-on alors encore parler de « légitimité » ? La faute à qui ? Aux électeurs ? Sûrement pas. La faute en revient évidemment aux deux « grands » partis, l’UMP et le PS, qui, alternant au pouvoir depuis trente ans, ont déçu, écoeuré, dégoûté une grande partie des Français, avec leurs programmes mirobolants, leurs promesses de Gascons, leurs engagements non tenus. Les Français ne pensent pas qu’ils soient « tous pourris » (quoique…) mais ils estiment qu’ils sont « tous incompétents » et le déclin régulier et de plus en plus accéléré du pays ne peut que leur donner raison. Si le Front national a réussi une telle percée par rapport aux autres partis protestataires, ce n’est pas (seulement) parce qu’il a joué sur les cordes du racisme, de la xénophobie ou de l’antisémitisme. C’est parce que, grâce au talent de son orateur vedette, il a toujours tapé beaucoup plus fort que les autres sur ce que Le Pen appelait « la dictature UMPS ». Et qu’en plus il a eu la bonne idée d’étaler au grand jour des dossiers que, par lâcheté, droite et gauche parlementaires ne voulaient pas ouvrir : la délinquance, l’immigration, l’Islam. On connaît la fameuse phrase de Laurent Fabius : « Le Front national pose les bonnes questions mais apporte de mauvaises réponses ». Il est bien dommage que la droite comme la gauche aient mis si longtemps à se poser ces « bonnes questions » et plus dommage encore qu’elles n’y aient toujours pas apporté la moindre réponse. Marine Le Pen va-t-elle être aussi redoutable que Jean-Marie Le Pen et
a-t-elle une chance d’être présente au second tour des présidentielles de
2012 ? La situation actuelle du pays lui ouvre aussi un boulevard. Un pays qui a 4 millions de chômeurs, 8 millions de gens qui vivent sous la ligne de pauvreté, c’est du « pain bénit » pour l’extrême droite. On le voit actuellement un peu partout en Europe. Mais ce qui est le plus frappant, c’est qu’aujourd’hui droite comme gauche jouent sur « le rejet de l’autre ». Au PS, on est convaincu de l’emporter en 2012 parce que tous les sondages affirment qu’une écrasante majorité de Français ne supporte plus Sarkozy. Inutile donc de présenter un programme, la victoire va tomber toute cuite dans le bec de Strauss-Kahn (ou de Martine Aubry). A l’Elysée, on se persuade que les divisions internes au PS, le souvenir de « la dame des 35 heures » et la politique menée par DSK au FMI vont effrayer les électeurs et que, du coup, la réélection de Sarkozy pourrait se faire d’elle même. Rue de Solferino, on ne comprend pas que le rejet de Sarkozy pourrait bénéficier à un autre candidat qu’à celui du PS. Pas plus que rue La Boétie on ne veut imaginer que les inquiétudes devant un retour du PS au pouvoir pourraient apporter des voix aux extrémistes. Pendant longtemps, ils n’étaient que deux sur le ring. Le rejet de l’un suffisait à faire gagner l’autre. Depuis 2002, on sait qu’un importun, un troisième larron peut venir troubler le jeu, en finale. Il lui suffit d’incarner le rejet des deux ténors. Cela dit, Marine Le Pen risque fort d’avoir de sérieux concurrents en 2012. Un Mélenchon, à gauche, un Villepin, à droite, par exemple, pourraient, s’ils menaient une campagne réussie, attirer, eux aussi, bon nombre d’électeurs déçus, écœurés, dégoûtés, furieux. Thierry Desjardins
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