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16/10/10 Thierry Desjardins

« Devenez grutiers à Marseille ! »

Cette semaine, Les Echos ont publié une page de publicité sur laquelle on pouvait lire textuellement : « Le meilleur métier du monde : devenez grutier au port de Marseille, congés : 8 semaines par an, horaires : 18 heures par semaine, rémunération : 4.000 € bruts par mois, emploi garanti à vie ».

Cette publicité avait été payée par un collectif qui s’intitule lui-même assez joliment « Touche pas à mon port » et qui regrouperait le patronat marseillais, plusieurs associations et même des « salariés ».

On comprend que, devant la grève des dockers de Marseille qui paralyse, depuis des jours et des jours, toute l’activité du port phocéen et des ports pétroliers des environs, certains commencent à perdre patience.

Après avoir eu la peau de notre marine marchande qui fut jadis parmi les premières du monde (que sont devenus la Transat, les Messageries Maritimes, les Chargeurs Réunis et beaucoup d’autres compagnies qui firent flotter le pavillon français sur toutes les mers du globe ?), de nos chantiers de construction navale (qui avaient construit, excusez du peu, le Normandie et le France) et de la plupart de nos ports (Dunkerque, Nantes, La Palice, Bordeaux, etc.) on a l’impression que nos syndicats veulent porter l’ultime coup de grâce à Marseille, pour abréger l’agonie, dont ils sont totalement responsables, de notre dernier grand port.

La France avait tous les atouts - sa situation géographique, qui fait d’elle l’entrée maritime évidente de l’Europe occidentale, l’importance de ses côtes, une certaine tradition, ses territoires d’outre-mer - pour être l’une des grandes puissances maritimes de ce XXIème siècle, à un moment où la mondialisation fait du transport maritime, en pleine expansion, un élément essentiel de l’économie planétaire.

Par la faute des syndicats, la CGT, aux exigences délirantes, des armateurs qui ont toujours tout cédé et des pouvoirs publics qui n’ont jamais compris l’importance, ne serait-ce que pour l’indépendance nationale, d’avoir une véritable politique de la mer (depuis des années, la mer dépend du ministère de… l’agriculture ou de celui de… l’écologie !) notre flotte est moins importante que celle de … la Suisse.

Certains ont calculé que le monde maritime, s’il renaissait de ses cendres, pourrait offrir sans problèmes plus d’un million d’emplois. On comprend mal que nos dirigeants n’y attachent aucune importance.

On sait que les syndicats demandent une plus grande transparence à propos des salaires des grands patrons du CAC40 et de tous les avantages dont ces messieurs bénéficient. Ils ont parfaitement raison. Tout comme ils ont raison quand ils s’indignent des parachutes dorés que touchent les PDG incapables, virés après avoir conduit leur entreprise au bord de la faillite.

Mais la transparence doit être générale et il est très bon que cette poignée de Marseillais qui s’affolent devant la catastrophe programmée de leur ville et de leur région aient eu le « courage » (car c’en est un) de rendre publics le salaire, les congés et les horaires des grutiers qui sont à la pointe de toutes les revendications des employés des ports.

On ne pourra plus nous faire, systématiquement, le coup des grévistes de la CGT affamés, vivant dans des conditions épouvantables, opprimés, exploités par le grand capital et tentant, dans un sursaut de désespoir, d’arracher, par la grève, quelques sous pour avoir une vie décente.

Il y a en France aujourd’hui huit millions de malheureux qui vivent, survivent sous la ligne de pauvreté, cinq millions de chômeurs. Ils ne sont ni à la CGT ni grévistes. Ce sont eux dont il faudrait s’occuper. Pas des grutiers de Marseille à 4.000 € par mois qui, pour défendre leurs privilèges, sont en train de créer davantage de chômage et de misère.

Personne ne sait très exactement en quoi consiste le travail des grutiers. On les imagine, par tous les temps, perchés en haut de leur grue. Ce n’est sûrement pas un travail de tout repos. Mais ce n’est tout de même pas à la force de leurs bras qu’ils font monter leurs charges. Et 18 heures par semaine ce n’est tout de même pas très harassant.

4.000 € par mois ! On voudrait savoir combien de jeunes agrégés de philosophie, d’infirmières de nuit ou de pompiers professionnels gagnent autant. Certes, c’est beaucoup moins que ce que touchent le patron de l’Oréal (du nom de l’entreprise du même nom que « l’affaire »), un trader débutant de la Société Générale ou un pilote de ligne d’Air France (cf. l’affaire Ryanair). Mais c’est tout de même beaucoup d’argent pour un métier qui ne demande pas forcément ni une intelligence exceptionnelle ni une formation de longue durée.

Les grutiers de Marseille peuvent, sans aucun doute, remercier leurs syndicats. C’est ce qu’ils font d’ailleurs bien volontiers en étant tous syndiqués et en narguant les bateaux qui, au large, attendent, depuis des semaines, leur bon vouloir pour venir décharger leur cargaison.

Ils déchanteront peut-être un jour. Et, sans doute, avant longtemps. Tiens, à propos, que sont donc devenus les marins syndiqués du France ? Certes, ils ont « gagné » leur combat. Le France a été désarmé, vendu à des Norvégiens (qui ont su le rendre bénéficiaire pendant des années) et la Transat a disparu. Mais, eux, maintenant, ils sont chômeurs…

Contrairement à tous les syndicats du monde qui luttent pour améliorer les conditions de travail des salariés et donc d’abord pour la sauvegarde de l’emploi, nos syndicats mènent un combat idéologique contre le patronat, au nom d’une « lutte des classes » qui n’a plus aucun sens depuis des lustres, mais en se limitant, très curieusement, à la protection des privilèges de ceux qu’on peut, à juste titre, considérer comme les plus favorisés, les fonctionnaires, bien sûr, les dockers, les salariés des raffineries, les employés du livre, etc. On comprend donc qu’il n’y ait que 7% de salariés français syndiqués.

C’est là une exception française de plus et c’est désespérant.

Thierry Desjardins



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