www.claudereichman.com |
A la une |
6/6/10 | Thierry Desjardins |
La fin du Monde ! Dans un éditorial émouvant, en « une » du quotidien et sur quatre colonnes, son directeur, Eric Fottorino, reconnaît la situation : « Le Monde est engagé depuis plusieurs semaines dans un processus de recapitalisation. Cette opération devrait se concrétiser par le choix, d’ici à la mi-juin, d’un nouveau partenaire qui, seul ou associé à d’autres investisseurs, prendra une majorité dans le capital de notre groupe ». Fottorino ajoute : « Depuis 1951, l’indépendance du journal a procédé du contrôle de sa gérance et de sa ligne éditoriale par la rédaction. Demain, quel que soit le candidat désigné, la Société des rédacteurs du Monde et, plus largement, les sociétés de personnel perdront ce contrôle majoritaire au profit du nouvel entrant ». Quel sera ce « nouvel entrant » ? Parmi les « partenaires » plus ou moins sur les rangs, le directeur du Monde cite : « Le Nouvel Observateur », l’Espagnol « El Pais », le Suisse « Le Temps », Pierre Bergé, Matthieu Pigasse, Xavier Niel. Le groupe Lagardère qui détient actuellement 17% du capital du Monde a fait savoir qu’il ne souhaitait pas participer à cette recapitalisation. C’est donc la fin du Monde tel qu’on l’a connu pendant plus d’un demi-siècle, ce journal, unique en son genre, où les journalistes étaient seuls maîtres à bord. Certes, Le Monde qui avait réussi à s’imposer comme le quotidien si ce n’est « officiel » du moins incontournable, ne faisait pas l’unanimité. Chacun avait ses reproches personnels à lui faire. J’avoue que je ne lui ai jamais tout à fait pardonné d’avoir présenté l’entrée des chars Nord-Vietnamiens dans la capitale du Sud-Vietnam comme « la libération de Saigon » et, pire encore, la victoire des Khmers Rouges à Phnom-Penh et l’évacuation forcée de toute la capitale cambodgienne (deux millions d’habitants) comme « une intéressante opération de translation de population ». Les dérapages ont été nombreux. Et plus encore sous le règne de Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel. On était bien loin du journal de la rue des Italiens, d’Hubert Beuve-Méry, de Jacques Fauvet ou d’André Fontaine. Mais malgré ses écarts - c’était la génération des soixante-huitards attardés et reconvertis qui avait pris le pouvoir - Le Monde restait un journal de qualité et, en tout cas, qu’il fallait lire, étant le seul en France à couvrir encore presque complètement l’actualité internationale. Pourquoi Le Monde est-il ainsi au bout du rouleau ? Parce que depuis vingt ans, et de déménagement en déménagement -1990, rue Falguière, 1996, rue Claude Bernard, 2004, boulevard Auguste Blanqui - comme pour mieux marquer sa dégringolade à travers Paris, Le Monde a multiplié les erreurs de gestion, notamment en achetant à tout va d’autres titres, et qu’il a, comme le reste de la presse écrite parisienne, été victime de l’effondrement de la publicité, du problème de la distribution et d’une lente désaffection des lecteurs. Les journalistes sont-ils incapables de gérer un journal ? C’est à la mode de l’affirmer. On oublie qu’à leur heure de gloire, tous les grands journaux qui, à l’époque, gagnaient beaucoup d’argent, étaient dirigés par des journalistes, Beuve-Méry au Monde mais aussi Lazareff à France-Soir, Brisson au Figaro, Lazurick à L’Aurore, Smadja à Combat. Et l’expérience des énarques inspecteurs des Finances qui ont pris le pouvoir à la tête de presque tous ces titres, au début des années 90, n’a guère été concluante puisqu’elle a marqué le début de la chute. Il serait tout de même dommage que Le Monde tombe dans l’escarcelle d’Espagnols ou de Suisses. Mais le monde change… Thierry Desjardins |
|