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31/1/11 | Thierry Desjardins |
Tunisie, Egypte :
l’Occident a eu tout faux ! Il faut observer les foules qui manifestent dans les rues tunisiennes ou égyptiennes et se souvenir de celles qui étaient descendues dans les rues iraniennes, voici trente ans. Elles crient « A bas Ben Ali ! », « A bas Moubarak ! » comme les autres hurlaient « A bas le Chah ! ». Officiellement, il s’agit toujours d’insurrections « contre des dictatures ». C’est du moins ce que nous disent nos commentateurs patentés qui n’ont généralement jamais mis les pieds dans ces pays, sauf, peut-être, pour quelques séjours de rêve dans des hôtels de luxe. Mais ne soyons pas trop naïfs. Le combat pour la démocratie n’est, en, fait, qu’un alibi. Les Tunisiens qui crient leur joie depuis le départ de Ben Ali, comme les Egyptiens qui exigent celui de Moubarak, crèvent de faim. Comme, hier, les Iraniens crevaient de faim. Tout est là. Ils réclament des élections libres mais ils veulent du travail, une vie décente, un avenir pour eux et pour leurs enfants. Les Iraniens qui renversèrent le Chah savaient très bien que l’ayatollah n’instaurerait pas un régime de liberté, respectueux des Droits de l’Homme. Mais ils espéraient que celui qu’ils appelaient « l’Imam » partagerait plus équitablement les fabuleuses richesses du pays accaparées, sans pudeur, depuis des décennies, par quelques poignées de courtisans alors que le reste du pays croupissait dans la misère. A Tunis ou au Caire aujourd’hui, c’est la même chose. Ce sont les miséreux, les pauvres, les chômeurs qui veulent que « ça change » pour qu’ils aient enfin le droit de vivre décemment. Ils ne savent pas de quoi sera fait l’avenir. Que ce soient les militaires ou les islamistes qui succèdent au tyran honni, ils veulent croire que leur vie quotidienne s’améliorera. Ce sont les intellectuels en exil qui évoquent « la soif de liberté ». Sur place, ceux qui sont prêts à se faire tuer réclament du pain. Cela dit, si ce sont toujours les affamés qui font les révolutions, ceux d’aujourd’hui sont tout de même bien différents de ceux d’il y a trente ans. Ceux qui ont renversé le Chah, la Savak et « la 5ème armée du monde » étaient des analphabètes venus des provinces lointaines, attirés par les lumières de la ville et agglutinés dans les cloaques des bidonvilles sordides de Téhéran. Ils ne connaissaient que le Chah et l’ayatollah. Ils ont renversé le Chah et appelé l’ayatollah. Ceux qui ont fait fuir Ben Ali et qui veulent chasser Moubarak sont eux aussi sans emploi, sans ressources, sans espoir, mais ils savent lire et écrire, sont souvent diplômés et manient l’Internet. Le développement économique (incontestable) et les progrès de la scolarisation (tout aussi incontestables) de la Tunisie de Ben Ali et de l’Egypte de Moubarak ont permis la création d’une (toute) petite bourgeoisie aussi bien en Tunisie qu’en Egypte. Les dictateurs ont toujours tort d’ouvrir des écoles. Ca donne de bien mauvaises idées aux foules… A la différence des insurgés de Téhéran, ceux de Tunis et du Caire ont donc entendu parler de la démocratie, même si, surtout au Caire, l’Islam incarne encore pour eux l’espoir d’un monde meilleur et plus juste. Seulement voilà, et c’est évidemment la grande faute de l’Occident, nous, les Grandes Démocraties, nous nous sommes compromis jusqu’à la gorge avec toutes ces dictatures. Nous les avons choyées, bichonnées, armées, financées. Par aveuglement, par facilité. Pour ces foules de déshérités, les démocraties n’étaient pas des « terres promises », des « phares de la civilisation ». Elles n’étaient que les complices détestés de ces dictatures qui les opprimaient et les laissaient crever de faim. Du coup, « la » démocratie ne peut pas être leur rêve aujourd’hui. Obama ne manque pas de culot et doit faire éclater de rire les foules égyptiennes quand il demande à Moubarak, le plus sérieusement du monde et sur un ton comminatoire, de faire preuve de modération et d’écouter les justes revendications des manifestants. Cela fait 37 ans que, successivement, Nixon, Ford, Carter, Reagan, Bush, Clinton, Bush fils ont soutenu à bout de bras le régime égyptien avec, d’abord Sadate, ensuite, pendant trente ans, Moubarak. En déversant des flots de dollars sur le Caire. Sans jamais émettre la moindre réserve, la moindre critique, le moindre conseil. La France de Giscard, de Mitterrand (grand habitué des meilleurs hôtels
de Louxor), de Chirac et de Sarkozy n’a d’ailleurs pas fait mieux, les
dollars mis à part. C’était avec « Moubarak-le-dictateur » qu’il embrassait
à pleine bouche que Sarkozy voulait donner vie à sa lubie d’une Union pour
la Méditerranée. Comment imaginer alors que ces peuples puissent avoir aujourd’hui la moindre envie de rejoindre notre camp ? La démocratie ne peut pas être leur rêve. Nous leur en avons présenté une image trop hideuse. Il ne faudra pas s’étonner si après s’être débarrassés de leurs dictateurs « suppôts de l’Occident », « laquais des démocraties impérialistes », « agents du néocolonialisme », ces peuples préfèrent se tourner vers une révolution islamiste même délirante. Thierry Desjardins
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