Ci-gît l’économie française ! 
	 
	Certains crimes se payent comptant. Pour d’autres, la note est présentée au 
	coupable bien des années après, et les crimes économiques rentrent sans 
	conteste dans cette deuxième catégorie. Pour illustrer mon propos, je vais 
	prendre une année clé dans l’Histoire moderne où quatre pays, confrontés au 
	même défi, ont choisi quatre solutions différentes pour y faire face, alors 
	même qu’il n’en existait qu’une seule convenable. Vingt ans après, celui qui 
	a choisi la bonne solution caracole en tète de toutes les statistiques de 
	croissance et de santé financière tandis que les trois autres souffrent de 
	maux divers et variés qui engendrent absence de croissance, chômage, 
	endettement, crises financière et politique… 
	 
	Le défi était simple : comment gérer nos Etats sociaux-démocrates tout en 
	maintenant une bonne compétitivité, c’est-à-dire comment empêcher qu’une 
	croissance incontrôlée des systèmes sociaux ne débouche à terme sur une 
	situation où le poids de l’Etat étouffe le système productif. 
	 
	Avant 1992, les quatre pays en question - France, Italie, Grande-Bretagne et 
	Suède - avaient tous choisi la même solution qui était d’avoir un taux de 
	change fixe avec l’Allemagne et donc d’avoir leurs politiques monétaires 
	gérées par la Bundesbank. L’idée était simple et d’origine française 
	(Giscard, à l’origine de quasiment toutes les mauvaises idées) : pour éviter 
	que les politiciens ne fassent n’importe quoi, il était urgent de leur ôter 
	le contrôle de la monnaie pour le confier à quelqu’un de sérieux, la 
	Bundesbank. Ces quatre pays, au début de 1992, faisaient partie d’un machin 
	technocratique qui s’appelait le système monétaire européen (SME), où le 
	contrôle de chaque monnaie nationale était de fait exercé par la Bundesbank. 
	Si quelqu’un dans un pays faisait des bêtises, la monnaie était attaquée et 
	il fallait la dévaluer contre le DM, ce qui ne faisait pas vraiment sérieux 
	et voulait dire qu’aux élections suivantes, en général, les gens pas sérieux 
	étaient virés. 
	 
	Mais en 1992, la Bundesbank décide que la réunification avec l’Allemagne de 
	l’Est comporte un risque inflationniste pour l’Allemagne, et porte les taux 
	courts réels à plus de 7 %, ce qui est proprement monstrueux. Nos quatre 
	pays européens sont de ce fait littéralement étouffés par ce durcissement 
	invraisemblable de la politique monétaire outre-Rhin et doivent prendre une 
	décision difficile : dévaluer et rester à l’intérieur du SME, sortir du SME, 
	ou rester à l’intérieur du SME en subissant une perte de compétitivité 
	gigantesque créée par la hausse du DM dopé par des taux réels à 7 % . 
	 
	Trois de nos pays - Italie, Grande-Bretagne et Suède - n’eurent même pas à 
	prendre de décision et furent sortis du SME « manu militari » par les 
	marchés, tandis que notre quatrième, la France, s’accrochait non sans mal à 
	sa parité vis-à-vis du DM.
	Vingt ans après, il est intéressant de voir comment l’économie de chacun 
	de ces quatre pays a évolué… 
	 
	Commençons par la Grande Bretagne et la Suède, qui au début eurent des 
	destins communs. 
	 
	Libérées du carcan du SME, la couronne suédoise et la livre britannique 
	chutèrent très fortement pour se retrouver rapidement à un niveau 
	sous-évalué. Pour profiter de ce niveau sous-évalué, les capitaux en 
	provenance de l’extérieur affluent, les actifs financiers montent énormément 
	(bull market) et les taux d’intérêts s’écroulent. En fait, la 
	dévaluation permet un transfert de richesse massif des rentiers 
	(fonctionnaires, livret d’épargne à court terme) vers les entrepreneurs, qui 
	deviennent subitement concurrentiels. Les deux économies décollent tandis 
	que dans les deux pays commencent des réformes pour continuer à réduire le 
	poids de l’Etat dans l’économie, en Grande-Bretagne sous l’égide des 
	conservateurs, et en Suède sous la direction des « modérés » puis des 
	sociaux démocrates. 
	 
	Changement de décor en mai 1997 en Grande-Bretagne : les travaillistes sont 
	élus et s’engagent immédiatement dans une politique d’augmentation de la 
	dépense publique qui fait remonter le poids de l’Etat dans l’économie 
	britannique de moins de 35 % (contre plus de 50 % quand Mrs Thatcher était 
	arrivée au pouvoir) à nouveau à plus de 50 % quand Mr Brown, l’architecte 
	écossais du désastre actuel, est battu par Mr Cameron qui se retrouve de ce 
	fait dans une situation impossible. 
	 
	La Suède par contre continue de façon impavide à se réformer, que les 
	socialistes soient au pouvoir ou pas, et sans renier en rien les principes 
	de solidarité qui constituent l’âme de ce pays. Pour arriver à ce résultat, 
	l’analyse faite fut très simple. Par exemple, il est du devoir de l’Etat de 
	s’assurer que tous les enfants reçoivent une éducation gratuite et de 
	qualité. L’Etat, par l’impôt, lève les sommes nécessaires. Sur ces deux 
	premiers principes, tous les citoyens suédois sont d’accord. Par contre 
	rien ne dit que la meilleure façon d’assurer une éducation de qualité 
	serait que la dite éducation soit délivrée par des fonctionnaires, bien au 
	contraire. Chaque famille reçoit donc un « bon pour éducation » qu’elle 
	présente à l’école de son choix, et la liberté d’enseigner est donnée à tous 
	les entrepreneurs qui souhaitent se lancer dans cette activité. Ces mêmes 
	principes furent appliqués par exemple aux transports en commun, au domaine 
	des retraites et à une partie importante de la santé. Pour faire simple, 
	l’Etat sort du domaine de la production tout en conservant ses fonctions 
	éminentes de définition des priorités, de contrôle et de financement. 
	 
	Depuis ces réformes, l’économie suédoise n’a cessé de croître, les surplus 
	extérieurs s’accumulent, la couronne suédoise est devenue l’une des monnaies 
	les plus fortes du monde, le chômage est au plus bas, l’inflation est 
	contenue, tandis que la bourse suédoise faisait trois fois mieux que la 
	bourse de Paris par exemple. 
	 
	Pendant la même période en Grande-Bretagne, M. Brown embauchait à tour de 
	bras des fonctionnaires, profitant des taux d’intérêt bas que la politique 
	de son prédécesseur autorisait, le poids de l’Etat dans l’économie ne 
	cessait de monter, la dette, tant privée que publique, faisait de nouveaux 
	plus hauts, jusqu’au point où nous sommes arrivés aujourd’hui et où la 
	Grande-Bretagne ne s’en sort que parce que la banque centrale anglaise 
	achète à tiroirs ouverts des obligations de ce pauvre Etat pour éviter que 
	les taux ne montent… Un vrai désastre comme seuls les socialistes savent en 
	organiser, et gageons que ce pauvre M. Cameron aura bien du mal à nettoyer 
	ces écuries d’Augias. Ce n’est pas tous les jours que l’on trouve un Hercule 
	du style de Mme Thatcher pour faire le sale boulot. 
	 
	Passons à l’Italie, qui elle aussi dévalue fortement en 1992, voit son 
	économie redémarrer, ses finances s’améliorer et décide, sous le leadership 
	incroyablement incompétent de M. Prodi, d’utiliser cette période de 
	rémission non pas pour effectuer les réformes de structure bien nécessaires, 
	mais au contraire pour intégrer le plus vite possible cette sinistre farce 
	que constitue l’euro et supprimer la lire. Pour mener à bien cette noble 
	entreprise, le très suffisant M. Prodi augmente massivement les impôts en 
	Italie, ce qui fait que depuis, l’économie italienne, étranglée par un taux 
	de change qui avec le temps devient de plus en plus insoutenable et par une 
	pression fiscale en augmentation constante, a cessé de croître et stagne ou 
	baisse depuis 2000 et que l’Italie a remplacé la probabilité d’une récession 
	par la certitude d’une faillite. Brillant ! 
	 
	Pour faire simple : 
	 
	• La Suède a décidé d’utiliser la manne venant de la dévaluation pour sortir 
	l’Etat de la production (où il n’a rien à faire) tout en conservant les 
	fonctions de contrôle et de financement à l’Etat. Sur les vingt dernières 
	années le succès de cette stratégie a été tout simplement prodigieux. 
	• La Grande-Bretagne a décidé qu’embaucher et créer des fonctionnaires était 
	une très bonne idée si on voulait être réélu. Echec total. 
	• L’Italie quant à elle a décidé que les entrepreneurs gagnaient trop 
	d’argent (à cause de la dévaluation) et qu’il était urgent de les imposer 
	pour permettre à l’Italie de tenir sa place dans ce qui se révèle être le 
	plus grand désastre monétaire de l’Histoire, l’euro. 
	Après tout, et comme chacun le sait, M. Prodi avait succédé à M. Delors 
	après avoir été pendant toute sa vie fonctionnaire international ou 
	professeur d’économie. On pouvait donc craindre le pire…qui n’a pas manqué 
	de se réaliser. Echec total aussi.  
	Et la France me direz- vous ? 
	 
	Eh bien la France, comme d’habitude, fut gouvernée par un fonctionnaire, et 
	de la pire espèce, c’est-à-dire par un inspecteur des finances. Comme 
	gouverneur de la Banque de France, pendant la période où les taux allemands 
	étaient insensés, il décida simplement de maintenir les taux français à des 
	niveaux encore plus exorbitants, ce qui fit qu’étranglés par des taux de 
	change et des taux d’intérêts sans aucun rapport avec la rentabilité du 
	capital en France, les entrepreneurs se mirent à faire faillite en masse, en 
	particulier dans l’immobilier (qui se souvient de la faillite du Crédit 
	Lyonnais, au conseil duquel M. Trichet siégeait ?), ce qui bien entendu 
	déclencha une forte récession, de gigantesques déficits budgétaires et une 
	explosion de la dette nationale. 
	 
	Fort de cette brillante réussite, il fut nommé à la présidence de la BCE où, 
	sous son magistère éclairé, des bulles immobilières gigantesques se 
	développèrent tant en Espagne qu’en Irlande, tandis que les taux trop bas et 
	les taux de change fixes permettaient à la France de s’autoriser quelques 
	douceurs du style des 35 heures sans en payer le prix. Bref et depuis 1992, 
	la France, grâce à M. Trichet et à l’euro, n’a fait que suivre une politique 
	favorable au rentier (le fonctionnaire de nos jours) et défavorable a 
	l’entrepreneur, ce qui est bien normal quand tous les systèmes - politique, 
	monétaire et économique - sont sous le contrôle de fonctionnaires.  
	 
	Bref, des quatre pays mentionnés plus haut, la France est sans aucun doute 
	celui qui a le plus mal négocié les vingt dernières années. Comme de plus 
	nous venons d’élire une majorité qui pour la première fois dans l’histoire 
	de notre pays a constitué un gouvernement qui ne comporte aucun représentant 
	du secteur privé, on peut légitimement craindre le pire pour le futur 
	proche. 
	 
	Sur la tombe de l’économie française, il conviendra donc d’inscrire : « 
	Ci- gît l’économie française, sacrifiée par monsieur Trichet, comme l’armée 
	française le fut par Gamelin en 1939. » 
	 
	Mais ce qui est le plus irritant pour un observateur non engagé comme 
	j’essaie de l’être, c’est de constater que la Suède a mis en place tous 
	les instruments pour se sortir de la panade, et avec beaucoup de succès, et 
	que personne n’en parle. C’est cette omerta sur les vraies solutions 
	qui est la chose qui me surprend le plus. Il n’y a aucune malédiction nous 
	condamnant au chômage ou à la faillite : il n’existe que des groupes de 
	pression qui veulent protéger leurs prés-carrés à tout prix, quand bien même 
	cela entraînerait la faillite du pays. C’est le phénomène, bien connu des 
	spécialistes, que certains d’entre eux ont appelé « la préférence européenne 
	pour le chômage ». 
	 
	Voila qui est incompréhensible… sauf bien sûr si l’on est fonctionnaire en 
	France. 
	 
	Charles Gave 
	 
	
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