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2/10/12 Charles Gave
Les robots sont en train de casser le modèle chinois !

Depuis des mois, je parle soit des Etats-Unis, soit de l’Europe, comme si le monde commençait et s’arrêtait aux “Guai los”, gentil nom dont les Chinois affublent les Occidentaux et qui veut dire paraît-il « long nez ». Or ce n’est pas vrai: il existe un monde en dehors de Bernanke et de l’euro, et dans ce monde, il se passe beaucoup, beaucoup de choses qui valent la peine d’être mentionnées. Commençons par une analyse de la situation chinoise telle qu’elle est probablement perçue par les autorités de ce pays.

La Chine a ancré sa croissance depuis vingt ans sur un modèle tout simple ou nous avions à la fois:

• Une répression financière (épargne sous rémunérée) que l’Etat préemptait pour bâtir les infrastructures nécessaires à un pays moderne.

• Un transfert massif de population de la campagne à la ville pour procurer de la main d’œuvre « bon marché » aux entreprises chinoises et transformer la Chine en atelier du monde. Nulle entreprise ne pouvait résister à un pays qui avait une infrastructure de pays développé et des salaires de pays émergents.

• Une monnaie sous évaluée pour favoriser les exportations, empêcher les importations, et non convertible pour empêcher les capitaux de quitter la Chine et garder la mainmise sur les profits générés par le développement du pays.

Bref la Chine nous a donné pendant quinze ans l’exemple du parfait pays mercantiliste. L’ennui pour les autorités chinoises est que ce modèle est cassé, et qu’elles le savent, et qu’il va donc falloir changer de modèle, ce qui n’est jamais simple.

Explications :

Aujourd’hui, pour une société comme Foxconn (qui monte les iphones, Ipad etc. pour Apple), le coût d’un salarié chinois est en train de passer au dessus du coût des robots industriels qui feraient le même travail, ce qui va entraîner deux conséquences :

• La première est bien sûr que les robots vont remplacer soit les travailleurs existants soit les travailleurs futurs, ce qui amène a la question: d’où vont venir les emplois dans le futur?

• La deuxième est que plus de 50 % des exportations chinoises vers les USA sont le fait de sociétés américaines installées en Chine, et qui vont s’empresser de fermer leurs usines à Shanghai ou ailleurs pour les installer aux USA. Tant qu’à employer des robots, autant les avoir près du consommateur final, ce qui permet d’économiser sur toute la chaîne logistique (transports, carburants, assurance, droits de douane…). Et en plus, l’usine aux USA va bénéficier d’une énergie meilleur marché qu’en Chine grâce à l’émergence des gaz de schistes qui vont rendre les Etats-Unis autosuffisants énergétiquement d’ici dix ans…

Pour faire simple : la Chine vient de perdre tous ses avantages comparatifs dans le domaine de l’industrie…en faveur des USA, ce qui veut dire que le modèle mercantiliste chinois est cassé et bien cassé. Il faut donc changer de modèle.

Et en fait, il n’y a pas 36 modèles de rechange, il n’y en a que deux :

- soit la Chine décide de se refermer sur elle même comme elle l’a fait à plusieurs reprises dans son histoire ;

- soit elle décide de déréglementer et de privatiser tous les secteurs qui ne le sont pas encore : transports, logistique, distribution, banques, assurances, produits d’épargne.

La première branche de l’alternative était soutenue par Bo Xi Lai, dont la femme a eu les ennuis que l’on sait, ce qui ne serait jamais arrivé s’il n’avait pas perdu le combat politique, tandis que les partisans de la deuxième branche se retrouvent plutôt en compagnie de la Banque centrale. Si le deuxième scénario est bien celui qui est choisi, cela implique une perte d’influence gigantesque pour tous les grands conglomérats qui avaient été le fer de lance de la politique mercantiliste et dont les monopoles vont disparaître. Or tous ces conglomérats sont sous le contrôle d’une espèce d’aristocratie remontant au début du parti communiste chinois et dont les membres vont se battre comme des chiens pour garder leurs privilèges. La lutte sera chaude et indécise, n’en doutons pas.

Mais les autorités n’ont pas le choix et les Chinois sont pragmatiques avant tout. Comme le disait Deng Xiao Ping, « qu’importe la couleur du chat pourvu qu’il attrape les souris ». La seule façon de créer des emplois en nombre suffisant pour empêcher des troubles politiques graves est donc de déréglementer massivement tous les secteurs des services et de stopper la répression financière pour que la consommation puisse – enfin - monter plus vite que le PNB et que les emplois ne dépendant pas des exportations soient enfin créés.

Tout cela est en marche, et c’est bien pour ça que les actions de sociétés cotées se cassent la figure depuis des mois tandis que le gouvernement refuse de « stimuler » l’économie. Pourquoi en effet relancer la demande dans des secteurs qui sont condamnés à disparaître ? La transition est et restera douloureuse, mais elle est absolument nécessaire. Comme je l’ai entendu en Chine, les Chinois se sont nourris de frites et de Big Mac depuis vingt ans. Il va falloir passer au poisson grillé accompagné d’épinards, ce qui est certainement bon à long terme, mais tend à rendre grognon les enfants…

Tout cela est fort intéressant, mais en bon financier que je suis et qui cherche donc à gagner de l’argent sans travailler (comme le disait tout haut mon ancienne assistante), la question se pose : comment puis-je profiter de ce changement tectonique en Chine ? La réponse est toute simple : tous les secteurs qui vont être libérés (transports, banques, assurances, santé, éducation, tourisme etc.) sont d’immenses consommateurs de services informatiques.

Comme les sociétés chinoises n’ont pas les compétences pour fournir ces prestations, il va donc falloir acheter tout cela à des sociétés étrangères, sans pouvoir le leur voler puisque maintenant tous les produits informatiques complexes sont domiciliés dans le « nuage » et que le client n’a pas accès aux codes sources.

Il y a quinze ans, pour jouer la construction des infrastructures en Chine, il fallait acheter le dollar australien et Vale, la société minière brésilienne. Aujourd’hui il faut acheter IBM, Oracle, Dassault Systems, SAP etc.

Tant il est vrai que depuis quinze ans, il faut toujours acheter ce que la Chine achète et vendre ce que la Chine vend…

Charles Gave

Dans un prochain article, je parlerai des changements que ces bouleversements vont entraîner dans le domaine des monnaies et de la liquidité en dehors de la Chine et en Asie. Là aussi, il se passe des choses passionnantes.


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