L’euro condamne l’Union à la stagnation
économique !
En tant que critique de longue date de l'idée d'une monnaie unique
européenne, je ne me réjouis pas des problèmes actuels de la zone euro qui
menacent la survie même de l'euro. Avant d'examiner les événements entourant
la crise de la dette grecque, je dois fournir au moins une définition
pratique du mot « effondrement ». Dans le contexte de l'euro, il y a au
moins deux interprétations qui viennent à l'esprit.
La première suggère que le projet de zone euro ou le projet de création
d'une monnaie commune européenne a déjà échoué en n'apportant pas les effets
positifs qu'on attendait de lui.
La création de la zone euro a été présentée comme un avantage économique
indiscutable à tous les pays disposés à renoncer à leur propre monnaie
existant depuis des décennies ou des siècles. Des études
quasi-scientifiques, approfondies mais tendancieuses, avaient été publiées
avant le lancement de la monnaie unique. Ces études promettaient que l'euro
permettrait d'accélérer la croissance économique et de réduire l'inflation,
et insistaient tout particulièrement sur le fait que les États membres de la
zone euro seraient protégés contre toutes sortes de perturbations
économiques défavorables ou de chocs exogènes.
L’euro n’a pas entraîné une croissance plus élevée dans la zone euro
Il est absolument clair que rien de tel ne s'est passé. Après la création
de la zone euro, la croissance économique de ses États membres a ralenti par
rapport aux décennies précédentes, creusant ainsi l'écart entre la vitesse
de la croissance économique dans les pays en zone euro, celle des grandes
économies comme les États-Unis et la Chine, des petites économies en Asie du
Sud et de certaines parties du monde en développement, ainsi que des pays
d'Europe centrale et orientale qui ne sont pas membres de la zone euro.
Depuis les années 1960, la croissance économique dans les pays actuellement
dans la zone euro s'est ralentie et l'existence de l'euro n'a pas inversé
cette tendance. Selon les données de la Banque centrale européenne, la
croissance économique annuelle moyenne dans les pays en zone euro était de
3,4 pour cent dans les années 1970, de 2,4 pour cent dans les années 1980,
de 2,2 pour cent dans les années 1990 et seulement 1,1 pour cent entre 2001
à 2009, la décennie de l'euro (1). Un ralentissement semblable ne s'est pas
produit ailleurs dans le monde.
Les économies de la zone euro n’ont pas convergé
La convergence attendue des taux d'inflation des pays de la zone euro
elle-même n'a pas eu lieu. Deux groupes distincts de pays se sont formés
dans la zone euro - un avec un faible taux d'inflation et un avec un taux
d'inflation plus élevé (Grèce, Espagne, Portugal, Irlande et quelques autres
pays). Nous avons également constaté une augmentation des déséquilibres
commerciaux à long terme. D'un côté, il y a des pays avec une balance
commerciale où les exportations dépassent les importations et, de l'autre,
les pays qui importent plus qu'ils n'exportent. Ce n'est pas par hasard que
ces derniers pays ont également des taux d'inflation plus élevés. La
création de la zone euro n'a donné lieu à aucune homogénéisation des
économies des États membres.
En s'accentuant, la crise financière et économique mondiale a dévoilé tous
les problèmes économiques dans la zone euro - elle n'en est pas la cause.
Cela n'a pas été une surprise pour moi. La zone euro, qui comprend 16 pays
européens, n'est pas une « zone monétaire optimale », ce que, selon les
théories économiques élémentaires, elle devrait être. L'ancien membre du
Conseil exécutif et économiste en chef de la Banque centrale européenne,
Otmar Issing, a souligné à plusieurs reprises (plus récemment dans un
discours prononcé à Prague en décembre 2009) que la création de la zone euro
a été principalement une décision politique (2). Cette décision n'a pas tenu
compte du fait de savoir si tout ce groupe de pays se prêtait réellement au
projet de monnaie unique.
Toutefois, si la zone monétaire existante n'est pas la zone monétaire
optimale, il est inévitable que ses coûts d'établissement et de maintien
dépassent ses avantages.
Le choix des mots « établissement » et « maintien » n'est pas un hasard. La
plupart des commentateurs économiques (sans parler des commentateurs non
économistes) ont été satisfaits par la facilité et le caractère apparemment
peu coûteux de la première étape (la création de la zone monétaire commune).
Cela a contribué à former la fausse impression que tout allait bien avec le
projet de monnaie unique européenne. Ce fut une erreur qu'au moins certains
d'entre nous ont fait observer, depuis la naissance même de l'euro.
Malheureusement, personne ne nous a écoutés.
Je n'ai jamais contesté le fait que le taux de change des pays qui allaient
adhérer à la zone euro reflétait plus ou moins la réalité économique en
Europe au moment où l'euro est né. Cependant, au cours de la dernière
décennie, la performance économique des membres individuels de la zone euro
a divergé et les effets négatifs de la « camisole » d'une monnaie unique sur
les différents Etats membres sont devenus visibles. Lorsque le « beau temps
» (au sens économique) a prévalu, aucun problème visible n'a émergé.
Cependant, une fois la crise ou le « mauvais temps » arrivé, le manque
d'homogénéité entre les membres de la zone euro s'est très clairement
manifesté. En ce sens, j'ose dire que, en tant que projet qui promettait de
constituer un avantage économique considérable à ses membres, la zone euro a
échoué.
Les coûts cachés de l’euro
Les non-experts et les politiciens (plutôt que les économistes) trouveront
plus d'intérêt dans la question de l'effondrement de la zone euro en tant
qu'institution. Ma réponse est qu'elle ne s'effondrera pas. Tant de capital
politique a été investi dans l'existence de l'euro et dans son rôle de «
ciment » qui lie l'UE sur la voie de la supranationalité que, dans un avenir
proche, la zone euro ne sera sûrement pas abandonnée. Elle continuera, mais
à un prix extrêmement élevé qui sera payé par les citoyens des pays de la
zone euro (et, indirectement, par les Européens qui ont gardé leur propre
monnaie).
Le prix du maintien de l'euro sera une faible croissance économique dans la
zone euro. La croissance molle en zone euro se traduira par des pertes
économiques dans d'autres pays européens, comme la République tchèque, et
dans le reste du monde. Le prix élevé de l'euro sera plus visible dans le
volume des transferts financiers, qui devront être envoyés aux pays de la
zone euro touchés par les problèmes économiques et financiers les plus
importants. L'idée que ces transferts ne seraient pas faciles sans
l'existence d'une union politique était connue du chancelier allemand Helmut
Kohi en 1991 quand il disait que « l'histoire récente, et pas seulement
celle de l'Allemagne, nous apprend que l'idée de soutenir une union
économique et monétaire dans la durée, sans union politique, est une
illusion » (3). Il semble qu'avec le temps, M. Kohl ait malheureusement
oublié cela.
Le montant d'argent que la Grèce recevra dans un avenir proche peut être
divisé par le nombre d'habitants de la zone euro et chaque personne peut
facilement calculer sa propre contribution. Toutefois, le « coût
d'opportunité » résultant de la perte d'un taux de croissance
potentiellement plus élevé, élément beaucoup plus difficile à envisager pour
un non-économiste, sera beaucoup plus douloureux. Pourtant, je ne doute pas
que, pour des raisons politiques, ce prix élevé de l'euro sera payé et que
les habitants la zone euro ne pourront jamais savoir à quel point l'euro
leur a vraiment coûté.
Pour résumer, l'union monétaire européenne ne risque pas d'être abolie. Le
prix de son maintien, toutefois, continuera à croître.
La République tchèque n'a pas fait d'erreur en évitant d'être membre de la
zone euro à ce jour. Et nous ne sommes pas le seul pays à avoir ce point de
vue. Le 13 avril 2010, le Financial Times a publié un article de feu
le gouverneur de la Banque centrale polonaise, Slawomir Skrzypek, un homme
que j'ai eu l'honneur de très bien connaître. Skrzypek a écrit son article
peu avant sa mort tragique dans l'accident d'avion qui a emporté un certain
nombre de dignitaires polonais près de Smolensk, en Russie. Dans cet
article, Skrzypek écrivait : « En tant que non-membre de l'euro, la
Pologne a été en mesure de tirer profit de la flexibilité du taux de change
du zloty d'une manière qui a contribué à la croissance et réduit le déficit
du compte courant, sans importer d'inflation. » II ajoutait que «
l'histoire depuis dix ans de la perte de compétitivité des membres
périphériques de la zone euro a été une leçon salutaire » (4). Que dire
de plus ?
Vaclav Klaus
(1) La Banque centrale européenne, « Statistics Pocket Book», Mars 2010,
https://www. ecb.int/pub/pdf/stapobo/spb201003en.pdf.
(2) Otmar Issing, The Birth of thé Euro (Cambridge. Royaume-Uni :
Cambridge University Press, 2008).
(3) Cité dans Otmar Issing, « The Euro : Does a Currency Need a State ?
», International Finance 11, n° 3 (2008) : 303.
(4) Slawomir Skrzypek, « Poland Should Not Rush to Sign Up to The Euro »,
Financial Times, le 13 avril 2010.
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