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9/4/11 Claude Reichman
       Les Français, nouveaux Hébreux dépendant
                                 de la manne !

Pour les Hébreux, le salut est venu du ciel. Pendant quarante ans, ils se sont nourris de la manne providentielle, avant d’aborder à la terre promise. Pour les Français, un miracle identique se reproduit chaque année depuis 1974. L’argent dont ils ont besoin pour continuer de vivre aussi confortablement que d’habitude leur tombe également du ciel. Sous la forme de prêts consentis par les détenteurs de capitaux du monde entier. C’est à croire à l’universelle bienveillance à notre égard, ou à la qualité de nouveau peuple élu qui s’attacherait à nous.

Si le miracle se prolonge et dure aussi longtemps que celui des Hébreux, nous en avons encore pour trois ans. C’est en 2014 que nous devrons avoir atteint notre terre promise. Mais tout laisse craindre qu’en guise de vertes prairies nous n’abordions un désert inhospitalier. Celui de la misère provoquée par une dette impossible à rembourser sans se ceindre d’un cruel cilice.

« Ce qu’on constate de manière répétée dans l’histoire des crises financières, c’est que lorsqu’un accident menace de se produire, il finit par se produire », écrivent les universitaires américains Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff dans leur passionnant ouvrage « Cette fois, c’est différent », sous-titré « Huit siècles de folie financière ». Ils ajoutent certes que « le moment exact peut être difficile à deviner » et qu’«il faut parfois des années pour que se déclenche une crise qui paraissait imminente », mais il n’est pas difficile de dire, dans le cas de la France, si le moment est proche ou encore lointain. Car c’est parce que ses causes sont lointaines qu’il est désormais proche.

Le drame français s’est définitivement noué en 1986, c’est-à-dire depuis un quart de siècle, quand fut signé l’Acte unique qui édictait la suppression de toutes les frontières intérieures de l’Europe au 1er janvier 1993. Elle impliquait l’abandon de tous les monopoles nationaux afin de permettre la libre circulation des hommes, des marchandises, des services et des capitaux, et la libre installation des tous les citoyens de la Communauté dans n’importe quel Etat membre.

L’affaire se corsa avec l’adoption de la monnaie unique. En effet une zone monétaire ne peut durablement fonctionner que s’il existe une politique économique et fiscale commune et si sont supprimés les obstacles de toute nature empêchant les travailleurs de circuler dans l’espace commun, notamment en ce qui concerne les transactions immobilières et la protection sociale. En termes simples, cela revient à dire qu’en cas de difficultés économiques dans une ou plusieurs zones, le pouvoir politique commun doit pouvoir décider d’effectuer des transferts financiers à leur profit, et que la main d’œuvre en difficulté doit être à même de se transporter dans les régions mieux loties sans que la vente du domicile et l’achat d’un autre soit rendu trop difficile par des mesures fiscales et réglementaires, et en pouvant emmener avec soi sa protection sociale.

Rien de tout cela n’a été organisé, et l’on n’aurait jamais dû mettre en œuvre la monnaie unique avant que les conditions de fonctionnement de la zone monétaire ne fussent optimales. Ce qui, soit dit en passant, ne signifie pas qu’il suffise de sortir de l’euro pour retrouver la situation antérieure. Il est puéril et irresponsable de le prétendre, car tout ce qui s’est passé depuis l’introduction de la monnaie unique a bouleversé la donne. La sortie de l’euro - ou l’éclatement de la zone - ne sont nullement à exclure, mais les gouvernants devront alors faire preuve d’infiniment plus de maîtrise que quand il s’était agi d’y entrer.

Les Etats providence européens auraient été réformés et allégés - et la flexibilité des marchés de la main d’œuvre obtenue - si les directives européennes sur l’assurance avaient été appliquées par l’Etat qui tenait le plus au monopole de la sécurité sociale, à savoir la France. Le blocage français a fait capoter toute la construction européenne. Il a donc été doublement criminel. Car il était irresponsable d’engager notre pays dans un processus d’ouverture des frontières et de libre concurrence tout en maintenant obstinément un monopole qui l’empêchait d’y faire face. Depuis vingt ans, nous nous battons contre cette folie sans que les « élites » nationales ne nous aient jamais soutenus. Nous avons totalement gagné au plan juridique, et dans les faits des milliers de Français ont choisi la liberté sociale et s’en trouvent parfaitement bien. Mais c’est par millions qu’ils doivent désormais le faire si l’on veut sauver les entreprises de notre pays et leurs salariés du désastre.

Le sinistre résultat de la folle obstination française est là : c’est surtout par rapport aux autres pays d’Europe - qui représentent les deux tiers de nos échanges - que notre compétitivité s’est dégradée. Nos entreprises exportatrices rendent l’âme les unes après les autres et notre déficit commercial ne cesse de s’aggraver.

La fin de la partie est pour demain. Notre dette va bientôt représenter le montant de notre production, et les intérêts de nos emprunts deviendront insupportables dès que les taux d’intérêt augmenteront, ce qui est inéluctable, tant le marché de la dette croule sous les besoins et tant notre propre impécuniosité va nous exposer aux garanties exigées par l’inquiétude des prêteurs.

Il faut manifestement à la France une catastrophe pour l’obliger - elle et ses prétendues élites - à ouvrir les yeux. Nous avons perdu la guerre économique pour les mêmes raisons qui ont provoqué la défaite militaire de 1940 : incompétence, présomption, irresponsabilité. Un cocktail bien de chez nous !

Claude Reichman



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