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22/10/10 Guy Sorman
     Ces Américains qui ne veulent pas de la Sécu !

Imagine-t-on un Français refuser la Sécurité sociale ? Mais comparer la France et les Etats-Unis, bis repetita, c'est ne rien comprendre ni à l'un ni à l'autre. Une juge fédéral de Virginie vient d’accueillir favorablement la plainte d'un citoyen de cet Etat demandant l'annulation de la loi obligeant tous les Américains à acquérir une assurance maladie (dite Obamacare ) : une telle contrainte "serait une atteinte à la liberté individuelle telle que définie par la Constitution des Etats-Unis" et une "atteinte au droit des Etats à qui Washington ne saurait imposer une telle contrainte".

Des plaintes comparables ont été déposées dans vingt Etats, à ce jour: certaines aboutiront, ce qui, pour un moment tout du moins, interrompra la généralisation de l'assurance maladie telle que le Congrès l'avait adoptée. A terme, il reviendra à la Cour Suprême de rétablir l'Obamacare ou de l'interdire : entre temps, il est aussi envisageable qu'une future majorité Républicaine annule cette loi, ce qui rendra le contentieux inutile.
Il n'empêche que le principe même de la conformité ou non de l'assurance maladie obligatoire à la Constitution continuera à faire débat. Magistrat, conservateur il est vrai, à la Cour Suprême, Samuel Alito déclarait hier à New- York devant la rédaction de City Journal, que l'on pouvait "aimer ou ne pas aimer la Constitution des Etats-Unis, mais qu'elle était la Constitution" et donc incontournable." Les Etats-Unis, ajoutait-il, ne sont pas comme l'Europe gouvernés par les hommes, mais par la Loi qui gouverne les hommes".

Mais cette Constitution, sacrée, est très succincte : elle exige donc d'être interprétée par la Cour. Alito fait partie de la majorité actuelle (surnommée la Cour John Roberts, du nom de son président tout aussi conservateur) qui s'appuie sur le texte et les intentions supposées des Pères fondateurs, de manière à bloquer tout ce qui, dans les lois contemporaines, pourrait limiter les libertés personnelles et le droit des Etats. La méfiance envers le pouvoir central inspire Alito parce que telle fut aussi la préoccupation centrale des fondateurs : ceux-ci craignaient le despotisme plus qu'ils ne se souciaient de l'efficacité de l'Etat.

Résister à l'air du temps, c'est la philosophie juridique des conservateurs qui dominent en ce moment la Cour. Le gouvernement américain en paraît paralysé : de fait, il l'est souvent mais les fondateurs estimaient que cette inefficacité garantirait la nation contre les passions de ses dirigeants. Ils considéraient aussi que les meilleures décisions possibles étaient celles que les citoyens prenaient pour eux-mêmes, individuellement. C'est ainsi que les Etats-Unis constituent une image inversée de l'Europe ; et c'est pourquoi la machine Républicaine, dopée au thé, accuse Obama d'européaniser l'Amérique.

A l'inverse, on me demande, aux Etats-Unis, d'expliquer les grèves françaises, vécues par les Américains comme un vent de folie et une atteinte inacceptable aux libertés individuelles. Il me faut alors rappeler combien, en France, on aime jouer la Révolution: l'Histoire se répète en farce , écrivait Karl Marx. Toute farce n'est cependant pas drôle.

Guy Sorman

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