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26/10/10 | Guy Sorman |
Oui, Liu Xiaobo représente les Chinois ! Le gouvernement chinois est désorienté par le Prix Nobel de Liu Xiaobo : des années de propagande communiste en Chine et vers le reste du monde se révèlent soudain inutiles. Le Parti essayait de nous persuader que les Chinois n’aspiraient qu’au développement économique, qu’ils louaient le régime pour un taux de croissance, qu’ils ne souhaitaient pas la démocratie et que cette notion même était occidentale, étrangère à la civilisation chinoise. Or, Liu Xiaobo, depuis vingt ans, dit le contraire et il est tout à fait chinois : il n’est pas une invention de l’Occident mais un lettré classique, enraciné dans une ancienne tradition chinoise de résistance à la tyrannie. Le courage même de Liu Xiaobo et de sa femme Liu Xia, s’inscrit dans la continuité confucianiste : le lettré naguère se suicidait plutôt que d’exécuter un ordre injuste. Liu Xiaobo, qui aurait pu quitter la Chine, avait décidé depuis 1989 – la révolte des étudiants de Tiananmen – que l’injustice devait être combattue sur place avec les armes du lettré, l’écriture et l’acceptation de la souffrance. Il est remarquable que, ni les années de prison - après Tiananmen où il fut un leader pacifiste - ni la perspective d’y retourner, n’altéraient jamais le caractère paisible, voire une certaine jovialité, chez Liu Xiaobo. On ne saurait donc reprocher au comité d’Oslo d’avoir repéré un intellectuel isolé, à l’image des dissidents occidentaux de Pologne ou de Russie naguère. Si Lui Xiaobo est familier, comme le sont les intellectuels chinois depuis deux siècles, de la pensée occidentale, s’il s’est souvent inspiré des formes de résistance occidentale, il n’est pas un produit de l’Occident, ni à l’image de l’Occident. Les intellectuels chinois eux-mêmes nous le disent : comme il devenait évident, depuis deux ou trois ans, que le Prix Nobel de la Paix serait attribué à un dissident chinois, Liu Xiaobo avait été désigné par la communauté intellectuelle démocratique de Pékin comme étant le plus représentatif de tous : le jury Nobel s’est rallié à un choix effectué en Chine même. Les dirigeants chinois aussi, malgré eux, avaient désigné Liu Xiaobo en
le condamnant à onze ans de prison, le jour de Noël 2008, pour « atteinte à
la sûreté de l’Etat ». Or, ce qui avait inquiété le Parti communiste n’était
pas tant la Charte démocratique “postée” sur le web par Liu Xiaobo : il ne
cessait de publier ses critiques du régime et ses appels à la liberté
politique, depuis plusieurs années, sur le web, seul média accessible pour
lui. Non, ce qui a déclenché la crainte du Parti et l’incarcération de Liu
fut le succès de sa charte. En vingt-quatre heures, dix mille signataires
s’y rallièrent avant que le site ne soit fermé. Ce qui mettait à bas un
autre mensonge du Parti : le soi-disant isolement et la non représentativité
des dissidents. “Comment pouvez-vous vous intéresser à un homme seul qui ne
représente que lui-même ?”, nous serinaient les porte-parole du régime à
chaque fois que l’on cherchait à rencontrer Liu Xiaobo. Voici que cet homme
seul apparaissait comme le leader de fait d’un vaste mouvement d’opinion, au
sein même de la population urbaine et éduquée, celle que le régime croyait
avoir anesthésiée par le taux de croissance. Le Parti communiste prendra-t-il la mesure de son erreur de jugement ?
Pour l’instant, la confusion domine : Liu Xia, qui n’avait pas le droit de
rencontrer son mari, incarcéré, au secret loin de Pékin, a soudain été
conduite à lui par la police. Mais au sortir de cette visite, on l’assigne
chez elle à résidence et on lui interdit tout contact extérieur. Certains
dirigeants laissent entendre que Liu Xia pourrait se rendre à Oslo et
accepter le Prix au nom de son mari ; d’autres déclarent que si elle allait
à Oslo, elle ne serait pas autorisée à rentrer en Chine. Et on menace la
Norvège de représailles sans parvenir à comprendre que le jury Nobel est
indépendant car la notion même de pensée indépendante dans les sociétés
libres reste étrangère aux dirigeants chinois, non parce qu’ils sont
chinois, mais parce qu’ils sont prisonniers de leur idéologie totalitaire. Quelques jours avant le Prix Nobel, Liu Xia à Pékin m’avait dit : “Les dissidents chinois sont comme les Juifs en Allemagne nazie : nous sommes persécutés, menacés de mort et les Occidentaux ne s’en aperçoivent pas. Quand nous aurons tous disparu, il sera trop tard pour vous demander ce qui nous est arrivé et pourquoi vous n’êtes pas intervenus plus tôt ?” Enfin, nous avons entendu : il reste à ne pas oublier. Guy Sorman
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