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9/10/10 Guy Sorman
                    Obama a déçu !

Tout homme d’Etat est poursuivi par sa Némésis, déesse de la vengeance. Celle de Barack Obama est une femme noire, afro-américaine de quarante ans, mère de deux enfants, qui fut un temps soldat dans l’armée américaine : Velma Hart. Le 20 septembre dernier, au cours d’un débat public, organisé par une chaîne de télévision favorable à Barack Obama, Velma Hart s’est adressée en direct au président : “Je n’en peux plus (I am exhausted) de vous soutenir”, a-t-elle dit, sur un ton posé et définitif.

 En cet instant, la Némésis noire fit basculer le destin d’Obama. Il répondit, médiocrement : n’avait-il pas, entre autres, réglementé les cartes de crédit pour protéger les débiteurs et étendu le bénéfice des assurances médicales aux enfants jusqu’à l’âge de 26 ans ? C’était un peu court : Velma Hart avait cru qu’Obama changerait sa vie. Le président ajouta que les Etats-Unis étaient en « bonne voie vers un futur prometteur ». Obama, ce jour-là, s’est révélé pour ce qu’il était, un homme politique comme les autres. Qu’il soit Noir ou pas, peu importe désormais.

Le 2 novembre, renouvellement à mi-mandat du Parlement, les Américains se prononceront pour la première fois sur le bilan d’Obama et de son parti : chacun s’attend à une défaite annoncée. Les partisans d’Obama font valoir qu’il n’a pas eu de chance : deux guerres et une crise économique en héritage. Certes, mais il aura mal géré cet héritage. Alors que la guerre en Irak obéissait à des objectifs relativement clairs et à peu près atteints (fin de la dictature et élimination des terroristes), la guerre d’Afghanistan, qu’Obama a faite sienne et déclarée “juste”, s’enlise dans une absence de stratégie. Guerre lointaine cependant, qui affecte peu le sentiment public. C’est l’économie qui détruit Obama, la stagnation, le chômage, et plus encore l’absence de perspective.

Qu’il s’agisse de la guerre ou de la crise, Obama aura fait preuve, en deux ans, d’un remarquable manque de créativité. Roosevelt, face à la crise économique de 1930, avait rétorqué (à tort ou à raison) par le New Deal, et Ronald Reagan, en 1980, par la résurrection du capitalisme. Rien de tel chez Obama. Sa réponse face à la crise a emprunté aux manuels les plus usagés de la social-démocratie. Il était prévisible que la dépense publique ne créerait pas d’emplois durables. En plus de l’endettement public qui réduit les crédits disponibles pour les investissements privés, Obama a découragé les entrepreneurs par l’augmentation des impôts et un projet d’assurance maladie nationale à peu incompréhensible. La majorité des Américains, sans aucun diplôme en économie, a intuitivement conclu que Obanomics et Obamacare étaient contraires au génie capitaliste de la nation.

Manque de créativité, mais aussi un certain « autisme » politique : à mesure que le refus gagnait, Obama s’est réfugié dans des projets millénaristes contre le réchauffement climatique. Confronté à l’échec de la dépense publique, il envisage un second “plan de relance”. Si les calomnies lancées par des fondamentalistes américains – Obama ne serait pas américain, il serait musulman – sont écoutées, c’est en raison même de son « autisme ».

Est-ce Obama qui perd ou les conservateurs qui gagnent ? Du fond de l’Amérique a resurgi une vague conservatrice caractérisée par la haine de l’Etat, le culte de l’individualisme, l’attachement au capitalisme, tous ingrédients constitutifs de la société américaine et étrangers, voire incompréhensibles par les non Américains. Au contraire de révolutions conservatrices antérieures, telle celle de 1980 qui avait porté Ronald Reagan, la nouvelle génération incarnée par le Parti du Thé (allusion au rejet des Britanniques qui voulurent taxer le thé en 1773), a peu de connotation religieuse : les bonnes mœurs et Dieu ne dominent pas le registre de Sarah Palin, égérie conservatrice mais « moderne ».

La société américaine a changé, y compris à droite. Autre distinction de cette nouvelle révolution conservatrice, elle est dans le refus plus que porteuse de projets. On est à droite, contre l’étatisme d’Obama (hâtivement qualifié de socialiste et européen, pêchés mortels aux Etats-Unis), contre les impôts, contre les dettes publiques, contre la nationalisation de l’assurance maladie, contre les islamistes, mais les solutions aux défis réels – chômage, dégradation de l’enseignement, immigration incontrôlée, grande inégalité face à la maladie, terrorisme – ne sont pas explicites. Il manque à la nouvelle droite républicaine, la charpente intellectuelle et le projet de société qui, dans les années 1970-1980, avait été conçu pour Ronald Reagan par des stratèges dits néo-conservateurs, Milton Friedman en tête. La Révolution conservatrice de Reagan était universaliste : celle de Sarah Palin reste provinciale. Obama et les Démocrates vont être défaits par une cohorte du refus sans leader ni vision.

À partir de janvier prochain, le gouvernement des Etats-Unis sera certainement affaibli par une cohabitation complexe entre un président peu porté au compromis et des Républicains au Congrès qui savent ce qu’ils ne veulent pas. L’interruption des projets d’Obama, l’annulation probable de la nationalisation de l’assurance maladie, l’enterrement des ambitions climatiques, rassureront un peu les entrepreneurs. Suffisamment pour qu’ils investissent et recrutent ? Dans le court terme, doutons-en. La stagnation pourrait se prolonger au détriment des Américains et du reste du monde, car le consommateur américain et l’innovation américaine – quoi qu’on en dise – sont toujours les moteurs de l’économie mondiale.

Il reste l’Empire américain et ses trois piliers. L’armée, gendarme du monde, indispensable à la mondialisation ? Il ne se profile aucun candidat pour la remplacer. Le dollar ? Géré en fonction des intérêts immédiats des Etats-Unis, il survit paradoxalement comme unique monnaie de réserve. Les universités ? En attirant les meilleurs, elles confèrent aux Etats-Unis le leadership de l’innovation. Même Obama défait, les Etats-Unis resteront pour un temps « la Grande puissance par défaut ».

Guy Sorman


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