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    29/7/12 | Guy Sorman | 
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	Quand l’Occident s’essouffle, l’Asie s’essouffle aussi  L'économie américaine a du mal à décoller, l'Europe ralentit au Nord et régresse au Sud : il ne reste donc comme moteur possible de la reprise que l'Asie. Mais voici qu'à son tour la Chine s'essouffle et aussi la Corée du Sud et Taïwan. Le Japon finira par resurgir mais certainement pas avant deux ou trois ans. Les économies asiatiques n'ont donc pas pris le relais de l'Occident, contrairement à quelques prophéties médiatiques à la mode. Le "découplage" si souvent annoncé entre Asie et Occident n'a pas eu lieu : l'Occident tire l'Orient et pas l'inverse. On ne sait qui a inventé le terme de BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) et lui a assigné le futur de la planète, mais un slogan ne fait pas la croissance : en tout cas, pas celui-ci. Comment alors devrait-on expliquer le succès indéniable, jusqu'ici, de l'Asie émergente mais aussi ses insuffisances ? Les économistes du développement s'entendent désormais pour assigner à l'état de droit et à la qualité des institutions publiques, la capacité d'enrichissement des nations. Cette théorie n'est pas totalement vérifiée par l'Asie. En Chine, les institutions font défaut et en Corée, c'est l'alliance des gouvernements et d'entrepreneurs à quasi monopoles (les Chaebol, tels Hyundai et Samsung) qui est le moteur de l'économie. Il faut donc, dans cette partie du monde, se replier sur une autre théorie explicative, quelque peu surannée, et qui doit à la culture autant qu'aux institutions. Il suffit d'ailleurs de visiter les entreprises en Asie pour constater 
	que la discipline rigoureuse qui y règne et l'éthique du travail déterminent 
	la haute productivité : ces particularismes culturels coïncident bien avec 
	ce que l'on connaît de l'idéologie confucianiste. Celle-ci, même en 
	démocratie et en dépit de la montée universelle des individualismes, 
	sous-tend encore les comportements collectifs de l'Asie du Nord-Est. La 
	rigueur de l'organisation du travail qui en découle éclaire - sans jamais 
	l’expliquer complètement - la préférence des entreprises pour la production 
	de masse mais aussi de qualité, avec un talent particulier pour la 
	reproduction à l'identique et pour l'assemblage, qu'il s'agisse de 
	vaisseaux, d'automobiles, d’ustensiles ménagers ou de microprocesseurs. 
	Reproduction et assemblage, sur des modèles le plus souvent conçus en 
	Occident, constituent le soubassement industriel de ces pays émergents (la 
	Chine) ou émergés (Taïwan, Corée du Sud). Cette culture confucianiste qui contribue tant à la productivité nuit peut-être au développement du marché intérieur et à l'innovation. La consommation domestique, qui pourrait contribuer à la reprise mondiale, est tempérée en Asie par une certaine pauvreté évidemment, mais aussi par l'obligation d'épargner car il existe peu de solidarité collective et enfin par une tendance culturelle à se fondre dans la masse plutôt que de se distinguer de son voisin par des consommations somptuaires. La capacité d'innovation est moins probante encore dans l'aire de la 
	civilisation confucianiste. Dans la région, seul le Japon, qui est à la 
	périphérie et distinct, dépose autant de brevets mondiaux que les Etats-Unis 
	ou l'Europe. La Corée du Sud se fraie un chemin remarquable parmi les 
	grands, mais plutôt dans le perfectionnement d'activités existantes que par 
	des percées qualitatives. La Chine, elle, tente de masquer son retard en 
	déposant de nombreux brevets qui ne valent qu'en Chine et en édifiant de 
	vastes universités dont il ne sort, pour l'instant, rien de neuf : 
	l'illusion ne saurait se substituer à l'innovation authentique et l’absence 
	de liberté intellectuelle ne saurait favoriser l’invention. L'Asie du Nord-Est reste donc pour l'essentiel un espace de 
	sous-traitance : la Chine surtout. Quand l'Occident s'essouffle, cette Asie 
	prend moins le relais qu'elle ne s'essouffle à son tour, privée de l'oxygène 
	de la commande américaine et européenne. Guy Sorman 
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