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3/7/10 | Guy Sorman |
Quelle chance ! Le G20 de Toronto n’a
pris aucune décision ! Le G20 n’a pris à Toronto aucune décision : quelle chance ! C’est le meilleur résultat que l’on pouvait espérer pour l’économie mondiale. Lorsque des chefs d’Etat se réunissent, il faut craindre qu’ils jugent utile d’agir à tout prix pour démontrer leur utilité. Alors que la vertu en économie est souvent de ne pas agir et de laisser les mécanismes spontanés du marché panser ses plaies, guérir de ses propres erreurs et plus encore compenser les interventions maladroites des charlatans de l’économie et de la politique, le G20 a donc sagement écarté deux propositions majeures qui l’une et l’autre n’auraient eu que des effets néfastes. La première de ces propositions émanant des dirigeants allemands et français devait taxer les transactions bancaires. Dans l’esprit de leur promoteur, on ne sait s’il s’agissait d’une sorte de définition rétroactive sur de mauvais comportements – une sorte de zéro de conduite à perpétuité – de démagogie pure ou d’un simple expédient pour renflouer les déficits publics. La seule conséquence d’un tel impôt aurait été de fausser la concurrence entre banques taxées et banques non taxées et pire encore, de renchérir et raréfier le crédit au secteur privé. Or ce qui manque le plus à la reprise économique est actuellement la rareté et la cherté du crédit. Par bonheur, ce projet à contretemps et contresens, a été rejeté par les pays anglo-saxons qui comprennent mieux la fonction de la finance dans le capitalisme, que ne le font les Français et les Allemands : Français et Allemands très professeurs de morale quand il s’agit d’argent. L’autre proposition contreproductive venait du président américain qui s’est révélé au G20 prisonnier de l’idéologie keynésienne et de son entourage de conseillers sectaires. Barack Obama, observant que la crise n’était pas terminée – ce qui est incontestable - souhaitait que chacun s’engage dans une nouvelle étape de « stimulation » de la croissance par la dépense publique. La proposition était d’autant plus étrange que les Etats-Unis, depuis 2008, ont déjà lancé deux plans de relance sans autre résultat que des dettes : les quelques études scientifiques menées aux Etats-Unis, en particulier par Edward Glaeser à Harvard et John Taylor à Stanford, ont montré que ces stimulations budgétaires ont créé zéro emploi. Ce que l’on appelle en jargon économique le « multiplicateur keynésien » (l’Etat investit 1 $ et ce dollar rapporte 1,5 $) n’existe pas et n’a sans doute jamais existé. Le Japon qui en quinze ans de relance publique n’a jamais généré ni emploi, ni croissance a réfuté le keynésianisme d’Obama et – surprise – les Européens aussi. L’Europe est soudain devenue libérale : non seulement les plans de relance de 2008 à 2010 n’ont suscité aucune reprise, ils ont plutôt aggravé la crise. Les besoins de financement des Etats ont privé les consommateurs de leur pouvoir d’achat et les entrepreneurs de leur capacité d’innover. Mais il ne s’agit pas tant d’une conversion intellectuelle au libéralisme que d’un constat : les Européens, contrairement aux Etats-Unis (le désir du monde entier pour les bons du Trésor américains paraît inextinguible par tous les temps) n’ont plus les moyens de s’endetter, l’euro ou la livre sterling trouvent de moins en moins de repreneurs. Certains en Europe semblent aussi avoir compris ce qu’expliquait naguère l’économiste et homme d’Etat Raymond Barre : l’économie a besoin de stabilité à long terme plutôt que de pulsions imaginatives de court terme. Ce qui vient d’être confirmé par l’économiste italien professeur à Harvard, Alberto Alesina : il vient de publier une étude persuasive et largement diffusée en Europe, qui démontre que dans le long terme, la réduction des dépenses de l’Etat et l’équilibre budgétaire sont les meilleurs moteurs de la croissance : l’évidence même, mais qu’Alesina fonde sur des séries historiquement constatées. S’il reste donc au terme de ce G20 quelques keynésiens, ils s’avèrent bien isolés : alors qu’en 2008, on nous annonçait la mort du libéralisme, néo et ancien, et le grand retour de Keynes et de l’intervention cyclique des Etats, il aura suffi de deux ans à peine pour que Keynes réintègre son placard. Keynes en réalité, ce n’est pas de l’économie, mais une passion idéologique pour l’Etat contre le marché : passion coûteuse et abordable uniquement pour ceux qui ont les moyens d’entretenir cette maîtresse. Et par-delà les mauvaises décisions non prises, ce G20 aura été remarquable par les leçons de bon sens dispensées par les pays dits émergents tels l’Inde, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud. Eux se souviennent de leur pauvreté de masse toute récente : ils savent comment ils y ont échappé. Ils n’étaient pauvres que pour avoir réfuté le capitalisme, fermé leurs frontières, exterminé leurs entrepreneurs. Dès l’instant où ils se sont convertis au libéralisme économique, toutes cultures et régimes politiques confondus, ces pays ont commencé à rattraper leur retard à grande vitesse. Il est tout de même paradoxal que les présidents de Corée du Sud ou du Brésil, l’un de droite, l’autre de gauche, doivent rappeler aux Américains que la prospérité des peuples passe par le capitalisme et le libre-échange. Mais le plus remarquable sans doute, dans ces réunions au sommet – quoi que l’on pense de leur caractère ostentatoire et dispendieux – est le non-dit : nul ne prononce l’éloge de systèmes disparus – étatisme, communisme, socialisme, autarcie – et nul, fût-ce en période de crise, n’envisage d’utopie alternative au capitalisme mondialisé. Dieu sait si le capitalisme mondialisé grouille de défauts pratiques et éthiques. Dieu sait si la croissance seule ne fait pas le bonheur de l’humanité. Mais tacitement il est admis, pas même débattu, que l’humanité a trop souffert au 20e siècle pour avoir expérimenté tant d’alternatives à ce capitalisme mondialisé : toutes ces expériences ont échoué. Il faut donc envisager que le système économique présent, parcours accidenté de pics en crise mais en ascension sur le long terme, corresponde à la nature humaine. Il est remarquable aussi dans ces sommets ostentatoires que la quasi totalité des chefs d’Etat présents ont été élus démocratiquement. L’ultime tyran, le président chinois doit se sentir quelque peu isolé et la présidente argentine est l’ultime témoin d’un caudillisme latino-américain en voie de disparition. Le G20 au total est une représentation d’un monde qui ne va pas si mal et dont on pourrait conclure qu’il progresse en termes matériels aussi bien que moraux. Guy Sorman
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