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1/4/11 Maxime Tandonnet
       Le gouvernement des juges : nous y sommes !

Nous observons en ce moment une prolifération de décisions des juridictions dans les domaines régaliens qui deviennent un obstacle réel à la conduite des politiques. Bien sûr ce phénomène n’a rien de bien nouveau mais il s’accélère depuis quelques années à un rythme vertigineux.

Un double mouvement est ainsi à l’œuvre : d’une part l’empilement de lois européennes, de règlements et de directives, qui échappe au contrôle des autorités nationales, les décisions étant prises à la majorité qualifiée et en « codécision » avec le Parlement européen ; d’autre part des juridictions, européennes et française, Cour de justice européenne, Cour européenne des droits de l’homme, Conseil constitutionnel, Cour de cassation, Conseil d’Etat qui s’appuient sur ces textes, sur ces normes pour développer des jurisprudences dont l’effet est d’entraver l’action des pouvoirs publics.

Quelques exemples récents soulignent cette boulimie normative, procédurière et jurisprudentielle, à l’impact dévastateur pour l’autorité de l’Etat:

- S’appuyant directement sur « la directive retour de 2008 », le Conseil d’Etat vient de rendre un avis le 21 mars 2011 qui, de facto, bloque en grande partie les reconduites à la frontière des migrants en situation illégale, jusqu’à la promulgation d’une future loi en débat au Parlement.

- Un avis de la Cour de Justice de l’Union européenne du 22 juin 2010 limite fortement, en vertu du système Schengen et de la libre circulation, la possibilité d’opérer des contrôles frontaliers dans une bande de 20 kilomètres pour lutter contre l’immigration illégale.

- La Cour européenne des droits de l’homme, par un arrêt du 23 septembre 2010 (Boussara), interdit à l’administration d’expulser un étranger condamné à 5 ans de prison pour trafic de stupéfiants, l’oblige à le régulariser au nom du droit au respect de la vie privée et familiale.

- L’article 32 du code communautaire des visas (règlement du 13 juillet 2009) force l’administration, à compter du 5 avril 2011, à motiver, justifier tout refus d’accorder des visas de court séjour (2 millions par an) ce qui ouvre la voie à une explosion du contentieux.

- Le Conseil d’Etat, par un arrêt du 7 avril 2010 (Jabnoun), oblige l’administration à régulariser un étranger malade, en situation irrégulière, s’il n’a pas personnellement les moyens d’être soigné dans son pays d’origine, par exemple par une couverture sociale.

- La Cour européenne des droits de l’homme s’apprête sans doute à remettre en cause la « procédure prioritaire » qui permet de traiter en quelques jours les demandes d’asiles abusives, rendant alors notre système d’asile ingérable.

-On pourrait aussi parler de la réforme de la garde à vue, imposée par la Cour européenne des droits de l’homme et par le Conseil constitutionnel, rendant obligatoire la présence de l’avocat dès le début, et qui préoccupe beaucoup les policiers quant à l’efficacité des enquêtes.

La seule chose qui est nouvelle, encore une fois, c’est l’accélération stupéfiante de ce phénomène en quelques mois, quelques années. Il correspond sans doute à une tendance globale, la judiciarisation des sociétés sur le modèle américain. Il contribue à affaiblir le politique. L’Etat de droit semble s’emballer, devenir comme fou, au détriment de l’autorité politique, contre le pouvoir du peuple et celui de ses représentants élus, contre la démocratie. Il a sans doute aussi des explications idéologiques : les instances européennes, les juridictions suprêmes font partie de ces élites sous l’emprise de la pensée unique sur la sécurité et l’immigration, qui privilégient les droits formels des individus sur l’intérêt général ou celui des personnes dans leur vie quotidienne. Pour reprendre une expression banale mais juste : trop de droit finit par tuer le droit.

Nous luttons contre cette tendance, avec acharnement, point par point, sans relâche, mais à contre-courant … On ne pourra vraiment sortir de ce mécanisme que par une logique de recours au référendum, le jour où les conditions politiques le permettront sans risque de confusion entre la question posée et un vote de protestation. Face à une décision émanant directement du peuple, on peut supposer que les hautes juridictions choisiront de se soumettre, sauf à abolir ouvertement la démocratie.

Pardon à mes lecteurs pour la complexité de ce texte, j’imagine qu’il est incompréhensible pour des personnes non familières du jargon juridique. C’est une éternelle question : comment expliquer en termes simples, non technocratiques et en quelques mots des sujets d’une complexité inouïe mais vitaux pour notre vie collective.

Maxime Tandonnet



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