Serons-nous 14
milliards sur terre en 2100 ?
Les Nations-Unies – conseil économique et social – viennent de publier un
rapport explosif sur la démographie mondiale (Le Monde du 15 février).
La plupart des experts admettaient jusqu’à présent le principe d’une
stabilisation de la population mondiale à l’horizon de 2050, une fois
atteint un plafond de 9 milliards d’habitants (nous sommes 7 milliards).
Les démographes estimaient en effet que le développement économique, social
et culturel, l’essor de l’éducation, la diffusion de la régulation des
naissances, rendaient probable un plafonnement de la population mondiale
vers le milieu de notre siècle. Toutes les projections sur l’avenir de
l’humanité à cette échéance, en termes d’occupation de l’espace, de partage
des ressources alimentaires, en eau potable, en utilisation des matières
premières et de l’énergie reposaient sur cette prévision.
Or, l’étude qui vient de sortir balaye l’idée d’une sorte de mécanisme
naturel de stabilisation de la population planétaire une fois atteint le
seuil de 9 milliards. Rien ne permet d’exclure l’hypothèse d’un maintien
voire d’une augmentation de la fécondité dans les pays les plus pauvres du
monde (jusqu’à 5 ou 6 enfants par femme, contre 1,5 en Europe), portant la
population du globe à 10, 5 milliards en 2050 puis à 14 milliards en 2100.
Un tel scénario est porteur de tous les risques : famines, conflits pour le
contrôle des ressources naturelles et l’occupation de territoires
habitables, mouvements massifs de population.
L’objectif n’est pas d’être optimiste ou pessimiste, mais réaliste. Le monde
de demain n’est pas une abstraction, mais celui de nos enfants…
Au-delà de la seule question démographique, deux conceptions de l’avenir de
l’humanité tendent à s’opposer.
Pour les tenants de « la fin de l’histoire », nous entrerions dans une
période tout à fait particulière de l’épopée humaine, marquée par la
globalisation, l’affaiblissement des frontières et des Etats, l’accès
progressif mais inéluctable de l’ensemble de la planète à l’économie de
marché, à la prospérité, à la démocratie, au progrès technologique, à
l’éducation, à la libre circulation des idées, des images, grâce aux
technologies de la communication, la télévision, Internet. Les guerres
seraient vouées à la marginalité voire à une disparition sur le long terme.
Il me semble que cette vision est la plus courante aujourd’hui. Elle
imprègne de manière diffuse l’idéologie contemporaine, la plupart des
analyses, des commentaires, des éditoriaux.
L’actualité récente semble d’ailleurs lui donner raison, avec les événements
du Maghreb, le plus souvent interprétés comme marquant une étape nouvelle
dans la progression continue de la démocratie, après l’Amérique latine,
l’Europe centrale et orientale et avant les autres régions du monde qui y
échappent encore mais finiront par être gagnées à leur tour… L’absence,
depuis quelques années de déflagrations militaires majeures serait un autre
signe de l’émergence de ce village global pacifié.
L’autre sensibilité se nourrit de scepticisme devant l’image d’un monde
meilleur et la croyance en l’avènement d’un homme nouveau. Par delà les
raisons de se réjouir, qui sont la façade des choses, elle décèle un cumul
invraisemblable de facteurs de crise. La neutralisation des frontières,
l’effacement des communautés nationales favoriseraient les tensions
ethniques ou identitaires, un renouveau des haines fondées sur la différence
de culture, de religion, d’origine. Les fondamentalismes religieux seraient
en plein essor, porteurs de la menace terroriste. Les nationalismes
agressifs seraient eux-mêmes prêts à renaître, avec l’émergence des nouveaux
rapports de puissance notamment entre l’Occident et l’Asie.
La marche de l’humanité vers la prospérité et à la démocratie ? Illusion
dans un contexte où, bien au contraire, les inégalités de développement
s’aggravent et toute une partie de la planète – l’Afrique subsaharienne –
s’enfonce dans une misère matérielle à laquelle les progrès technologiques
n’apportent pas de réponse satisfaisante. La dette massive du monde
occidental annoncerait de violentes secousses financières à venir. Les
sources de graves conflits futurs s’imposeraient comme des évidences, en
particulier le partage du pétrole, des matières premières, et pire encore,
des terres cultivables et de l’eau potable.
Nul d’entre nous ne détient les clés de l’avenir mais le nouveau rapport
de l’ONU sur la démographie mondiale fait clairement pencher la balance vers
le deuxième scénario. Que peut-on faire, que faut-il faire ? Il est déjà
compliqué d’agir sur le présent, alors comment tenter d’infléchir le futur ?
Déjà, prendre conscience en tout cas ; penser à l’échelle de l’histoire et
de la planète … Tenter de s’organiser à l’échelle du globe : c’est tout le
sens des réunions du G 20. Enfin traiter, sans tabou sans fausse pudeur, en
tant que sujet politique majeur, la question démographique.
Maxime Tandonnet
|