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23/1/10 | Claude Reichman |
Affaire Proglio : le syndrome de la brioche ! L’affaire Proglio est un signe de plus de l’inconscience du pouvoir et de la situation prérévolutionnaire de la France. Comment le chef de l’Etat peut-il, alors que d’innombrables Français se chauffent à peine, en plein hiver, ou ne le peuvent même plus, accepter que le nouveau patron de l’entreprise nationale qui est le principal fournisseur d’énergie du pays n’accepte d’occuper sa fonction qu’à la condition que sa somptueuse rémunération soit fortement augmentée par rapport à celle de son prédécesseur, qui lui-même avait déjà bénéficié d’une importante hausse ? Comment le chef de l’Etat peut-il accepter que ce grand patron soit un des privilégiés qui ont fêté son élection au Fouquet’s, alors que cette petite sauterie avait en son temps scandalisé l’opinion par son côté « club de riches » ? Comment le chef de l’Etat peut-il accepter que la démonstration de cupidité de ce grand patron soit le fait d’un homme d’origine modeste dont l’attitude est ressentie comme une claque par tous ceux qui ne sont pas parvenus à monter dans l’échelle sociale ou qui la redescendent ? « S’ils n’ont pas de pain, qu’ils mangent de la brioche », semble lancer au peuple la coterie qui s’est emparée du pouvoir et qui s’engraisse furieusement au mépris de toute modération, de toute distinction, de toute prudence. Il y a comme une fatalité qui veut qu’un régime établi depuis trop longtemps oublie les fondements de sa légitimité et les bafoue allègrement sans jamais penser qu’il puisse lui arriver malheur. Et pourtant Nicolas Sarkozy a parfois des éclairs de lucidité quand il déclare : « Les Français aiment me voir avec Carla dans le carrosse, mais ils ont guillotiné Louis XVI ». Mais tel le scorpion piquant la grenouille qui lui fait traverser la rivière et se condamnant ainsi à périr noyé, il semble s’écrier : « Je n’y peux rien, c’est dans ma nature » ! La Ve République est en train de mourir sous nos yeux. Ce régime a été créé par un homme qui avait douloureusement vécu l’effondrement de l’Etat et du pays pendant la 2e guerre mondiale et qui voulait doter celui-ci d’un pouvoir fort et exemplaire. Militaire habitué à une vie frugale, empreint des principes moraux traditionnels et ne supportant pas l’idée qu’on pût vivre et encore moins s’enrichir aux frais de la République, il a finalement donné naissance, une fois accompli son propre parcours, à un système où la toute puissance du pouvoir exécutif donne tout loisir à ceux qui s’en sont emparés de violer sans pudeur les règles les plus élémentaires du civisme républicain et de se comporter en ploutocrates, comme dans n’importe quel régime bananier, comme dans n’importe quelle satrapie. C’est le moment de rappeler cette phase si pénétrante de Raymond Aron : « Les hommes font l’histoire, mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font. » On dirait que la formule a été inventée pour Nicolas Sarkozy et son entourage. L’affaire Proglio nous a montré - et nous montre encore, car elle va continuer à souffler ses miasmes délétères dans l’atmosphère politique et dans l’opinion – qu’un pouvoir qui ne peut plus s’appuyer sur des principes moraux se conduit comme un ludion dans une bouteille : il tourne en tout sens et sur lui-même sans que quiconque puisse comprendre le sens de son agitation ni en prévoir les folles divagations. Au bout du compte, il arrivera ce qui ne peut qu’arriver. Fou de rage contre les pantins qui dansent dans le liquide en prétendant accomplir des actes de gouvernement, le peuple brisera la bouteille et jettera son contenu à la ruelle. C’en sera alors fini du régime et de ses dignitaires (ô que ce mot sonne cruellement, forgé qu’il est à partir de l’adjectif « digne » !), et il faudra bien que livré à lui-même, le peuple, dans la difficulté et peut-être dans la tragédie, se donne de nouveaux dirigeants qui rendront au pays la considération qu’il doit pouvoir se porter à lui-même et sans laquelle aucune société ne peut survivre. Claude Reichman
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