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26/7/08 | Claude Reichman |
Affaire Tapie : la justice privée administre une leçon de droit à la justice d’Etat La décision du tribunal arbitral donnant raison à Bernard Tapie dans son contentieux financier avec le Crédit lyonnais donne lieu à une polémique exemplaire, au sens étymologique du terme. Exemplaire en effet de la difficulté qu’a la France à se plier aux règles les plus élémentaires de l’état de droit. L’état de droit exige avant tout une justice indépendante fondant ses décisions sur des lois et des jurisprudences bien établies. En France, la justice est loin d’être indépendante de l’Etat. En outre, elle est lente et ses procédures peuvent prendre des aspects tortueux. C’est la raison pour laquelle les citoyens ne lui font généralement pas confiance. La France n’est pas la seule dans ce cas, même si la justice est beaucoup plus indépendante dans la plupart des pays démocratiques. C’est pourquoi beaucoup de grands dossiers du monde des affaires se traitent par la voie de l’arbitrage. Cette procédure permet aux parties de choisir leurs juges d’un commun accord, ce qui permet de s’assurer de l’impartialité du tribunal, et l’arbitrage rendu l’est en dernier ressort, ce qui rend la décision exécutoire sans d’interminables procédures d’appel. Dans l’affaire Tapie, où il s’agit d’un conflit commercial classique, il n’y avait aucune raison de ne pas recourir à l’arbitrage, sauf à considérer que lorsqu’une des parties à la cause dépend de l’Etat, seule la justice d’Etat est compétente, de manière à préserver les intérêts de la puissance publique. Il ne s’agit plus alors d’état de droit, mais de fait du prince. Rappelons en outre que l’arbitrage est une procédure codifiée et parfaitement légale. De violentes critiques, émanant essentiellement du milieu politique, se sont abattues sur la sentence arbitrale favorable à Bernard Tapie. Elles sont toutes fondées sur le fait que l’organisme chargé de la liquidation des actifs du Crédit lyonnais est financé par l’Etat et que par conséquent lui donner tort, c’est faire payer le contribuable. Or ce n’est en aucune manière le problème, puisque le différend financier en cause est entre M. Tapie et la banque commerciale qu’était à l’époque le Crédit lyonnais. Que l’Etat se soit chargé de réaliser les actifs du Lyonnais ne change rien au caractère privé du litige. Et puisqu’on se soucie tellement du contribuable, pourquoi lui avoir fait supporter les 20 milliards d’euros, au bas mot, qu’a coûtés la faillite de la banque, ce qui nous met très loin des 400 millions d’euros sur lesquels porte la décision arbitrale ? Mais le plus bel aveu du mépris de l’état de droit qui caractérise la classe politique française réside dans l’appréciation unanimement favorable qu’elle porte sur les trois arbitres désignés, personnalités respectées, compétentes et au dessus de tout soupçon. Alors si ce tribunal est à ce point digne de confiance, pourquoi rejeter aussi violemment son jugement ? Pour une raison fort simple : parce qu’un particulier, surtout s’il a mauvaise réputation comme Bernard Tapie, ne peut avoir raison contre l’Etat. Eh bien, l’état de droit, c’est exactement le contraire. Et le tribunal arbitral a administré une magnifique leçon de droit aux « élites » d’Etat qui se croient tout permis quand elles ont le pouvoir. Et du même coup à la justice publique française, qui ferait bien d’en profiter pour se hisser au niveau des exigences démocratiques avant que de se voir définitivement rejetée par une opinion publique qui n’en peut plus d’être constamment victime des exactions de l’Etat et de les voir validées par des juges beaucoup trop souvent aux ordres. Claude Reichman
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