L’affaire Uber ou la fin de la Sécu !
L’affaire Uber n’a pas dérogé à la règle. Elle a fait la une de
l’actualité pendant un jour, et puis elle a disparu. C’est dommage, car
elle aurait pu donner l’occasion au peuple de s’informer des réformes en
cours et des raisons pour lesquelles on a tant de mal à les mener à
bien.
Il a été reproché à M. Macron d’avoir favorisé l’implantation en
France de la société de taxis Uber à l’époque où il était ministre des
finances, sous la présidence de M. Hollande. Face à la tempête
médiatique, M. Macron a crânement revendiqué son action, assurant même
qu’il la referait si c’était nécessaire.
Mais l’opinion publique n’en est pas plus avancée. Bah, pense-t-elle,
c’est une affaire de taxis, pas de quoi s’énerver au-delà du temps
habituel. Bien entendu, il ne s’est pas trouvé un seul journaliste pour
éclairer l’opinion sur le véritable enjeu de cette affaire. Or il était
essentiel.
Il ne s’agissait de rien de moins que de lancer l’opération de
suppression du monopole de la Sécurité sociale. La société Uber jouait
le rôle du cheval de Troie, celui qui permit aux Grecs de s’emparer de
cette ville dont ils faisaient le siège. Uber a parfaitement rempli son
rôle. Ses chauffeurs sont des travailleurs indépendants, qu’elle a fait
bénéficier d’une protection sociale équivalente à celle du régime des
indépendants, le RSI, par un accord avec l’assureur Axa. D’habitude,
quand un accroc au monopole est commis, les sphères étatiques et
syndicales poussent des cris d’orfraie. Mais dans ce cas, pas un bruit,
pas une larme, pas un soupir.
Il n’y eut qu’un communiqué du président de la République, diffusé
sur Twitter sous l’intitulé « Emmanuel Macron, Officiel du gouvernement
–France », approuvant chaleureusement l’accord Uber-Axa grâce auquel «
chaque travailleur indépendant utilisant la plateforme Uber se verra
muni d’une assurance de protection ».
C’était une véritable bombe, mais celle-ci ne fit aucun bruit, alors
qu’elle venait de faire exploser un édifice vieux de trois quarts de
siècle et pesant plus de 800 milliards de prestations !
Curieux épisode, vraiment, de la vie nationale. On cite souvent la
passion des habitants de Constantinople pour les courses de chars, que
n’apaisait même pas la présence des Ottomans aux portes de la ville.
Celle des Français pour la Sécu n’est pas moins forte, ni moins folle.
On connaît le sort qu’a connu Byzance à cette époque. Mais par bonheur,
celui de nos compatriotes sera infiniment plus riant. De prisonniers,
ils vont se transformer en hommes libres. En résumé, et comme le disait
Michel Audiard, le peuple « vient de passer de la défaite à la victoire
sans passer par la guerre ». Heureusement tout de même que cette guerre,
quelques Français courageux l’ont faite. Et ont fini par la gagner !
L’idée que l’histoire se fait d’un quinquennat présidentiel tient
moins à une réforme claironnée par les médias qu’à une mesure passée
inaperçue sur le moment mais dont les conséquences se font sentir
pendant les décennies suivantes. Le quinquennat de Nicolas Sarkozy
aurait pu être marqué par la réforme de la Constitution en 2008, qui a
créé la question prioritaire de constitutionalité (QPC). Celle-ci
permettait au citoyen de remettre en cause des lois existantes, et donc
de moderniser régulièrement le pays, mais la réforme a échoué parce que
M. Sarkozy a en confié le contrôle aux juges, qui se sont évidemment
empressés de la rendre inopérante.
Le premier quinquennat de M. Macron aura été catastrophique à tous
égards, mais l’accord Uber-Axa, joint à la loi du 21 décembre 2021
exemptant certains salariés de l’obligation de s’affilier à la Sécurité
sociale, redorera son blason aux yeux de l’histoire. Finalement,
Emmanuel Macron aura réussi à faire ce qu’on attendait de lui :
moderniser la France.
Mais que de scories ! La France est en panne, endettée jusqu’au cou,
déchirée par des querelles d’un autre âge et coupée, dans ses débats,
des réalités de notre temps. Rien de tout cela n’est inguérissable, mais
il y faut du temps et de la détermination ; Et surtout des hommes
politiques dignes de ce nom. Bref, tout ce qui nous manque. Un de mes
amis, éminent juriste, me faisait remarquer qu’il y a des moments « où
le bonheur est inévitable ». Peut-être la réforme l’est-elle aussi !
Claude Reichman