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8/1/09 Bernard Martoïa

Les agences de notation, piliers de l'économie casino

"Quelle société ne serait point basée sur la cupidité ? Le problème est de trouver un arrangement dans lequel la cupidité s'avère indolore. Le capitalisme est ce type d'arrangement."  Milton Friedman

S'il n'y avait qu'un seul coupable dans la crise financière, ce serait si facile de le désigner à la vindicte publique pour tourner la page. Plus on creuse le sujet, plus on se rend compte de la complexité de cette crise financière qui a dégénéré en récession économique mondiale. Comme dans la tragédie du Titanic, c'est une multitude de fautes commises à chaque échelon qui est à l'origine de la débâcle financière. Après la S.E.C, les agences de notation sont sur la sellette.

La faillite retentissante d'Enron en 2001 provoqua, dans son sillage, la disparition de la société Arthur Andersen qui certifiait ses comptes. Un scandale analogue concerne aujourd'hui les agences de notation de crédit à propos des notes excellentes qu'elles ont décernées presque jusqu'à la fin aux subprimes.

Le despotisme "éclairé" de la Fed

Si ces agences avaient fait leur travail sérieusement, ces produits toxiques n'auraient jamais pu être refilés aux banques européennes. John Cassidy, le journaliste du New Yorker, a donné son explication. "White et ses collègues continuèrent à tirer l'alarme à propos d'une bulle immobilière mondiale, mais leurs appels furent largement ignorés aux États-unis. "Dans le champ de l'économie, les universitaires américains ont une si grande réputation qu'ils balayent toute opposition qui leur est faite", m'a dit White. "Si vous ajoutez la réputation personnelle du Maestro" Greenspan ", il était très difficile pour n'importe qui de venir dire que des problèmes s'accumulaient."

William White a travaillé à la Banque des Règlements Internationaux de Bâle. La B.R.I est réputée pour son expertise. C'est elle qui fixe les standards que doivent respecter les banques. Entre la contestation d'un obscur conseiller économique de la B.R.I et la parole du Maestro, le marché avait une confiance aveugle dans ce dernier. Toujours à propos du Maestro dont on louait la lucidité, il déclara, en 2005, ceci : "Autrefois, les demandeurs non solvables se voyaient refuser une demande de crédit. Maintenant, les prêteurs sont capables de juger efficacement le risque posé par un demandeur et de fixer un taux d'intérêt reflétant le risque encouru."

L'historique des quatre sœurs du rating

Le marché du crédit américain est l'apanage d'un cartel : A.M Best, Fitch Ratings, Moody's et Standard & Poor's. La complexité des montages financiers structurés et la réputation d'une maison dont dépend son activité sont les deux raisons pour lesquelles il est très difficile pour un concurrent d'entrer sur ce marché.

A.M Best fut fondée en 1899 par Alfred Best. Elle est la seule à se spécialiser dans un secteur : l'assurance. Les compagnies d'assurances émettent des obligations, du papier commercial et aussi des produits dérivés. Parmi ses clients, figure American International Group (A.I.G) dont le sauvetage a déjà coûté la bagatelle de 145 milliards de dollars au contribuable américain. A.I.G perdit son triple AAA le 23 mai 2008. Ses consœurs s'empressèrent d'abaisser leur note pour ne pas être en reste. Un peu tard pour une mise en garde...

Fondée en 1913 par John Fitch, Fitch Ratings n'est plus une société indépendante. Fimalac, une holding française, a pris une part significative dans son capital. Fitch est très active dans le marché des C.D.O (collaterized debt obligations) que Warren Buffett, le légendaire investisseur, a comparées à des armes de destruction massive de richesse.

Fondée en 1909 par John Moody, cette agence détient 40 % du marché mondial du rating ! Non contente de détenir la première place, elle est accusée de racket par des clients qui ont refusé ses services. C'est le cas de l'assureur allemand Hannover Re à qui Moody's a proposé un rating gratuit. L'assureur a refusé. Moody's le harcela mais le Teuton tint bon. Un jour Moody's abaissa sa note alors qu'il n'avait aucun contrat avec lui. La fourmi allemande refusa de céder au chantage. Alors Moody's abaissa la cotation de Hannover Re à celui d'obligation pourrie (junk bond) La compagnie d'assurance perdit 157 millions de dollars en quelques heures après la publication de cette note désastreuse. La mafia ne désapprouverait pas la méthode.

Standard & Poor's est la doyenne. C'est elle qui lança cette activité d'évaluation après la guerre de Sécession. Henry Varnum Poor publia un livre d'histoire sur les voies ferrées. Ce premier livre livrait des informations financières inédites sur les sociétés de chemins de fer. Avec son fils Henry, il établit une version annuelle du livre qui devint une référence pour Wall Street. En 1906 la société passa à la vitesse supérieure en publiant des notes ponctuelles en cours d'année. En 1941, la société Standard absorba la maison d'édition Poor's. Le nouvel ensemble, baptisé Standard & Poor's, prospéra. En 1966, il fut absorbé par le géant de l'édition, The McGraw-Hill Companies.

Trancher le nœud gordien

Les agences de notation de crédit sont rémunérées par les émetteurs d'emprunt à qui elles attribuent une note. Il n'est donc pas dans leur intérêt d'être sévères dans leur notation si elles veulent garder un bon client. Ce conflit d'intérêt est curieusement passé sous silence. A ma connaissance, Michael Lewis est le premier journaliste à relever cette anomalie. Le capitalisme de copinage fausse les notes qui sont attribuées aux émetteurs d'emprunt. Lewis propose une solution radicale. " Mettre fin au statut des agences de rating. Compte tenu de leur performance, il est difficile de comprendre pourquoi ces agences sont encore en activité. Il n'y a pas de doute que le monde se porterait mieux sans elles. Il devrait y avoir une loi prohibant que les émetteurs d'emprunt paient une commission pour avoir une notation. Soit les investisseurs paient une agence, ou si la notation paraît indispensable pour éclairer le public, ces agences devraient être rémunérées par le Trésor public."

L'éternel débat entre sphère publique et sphère privée

Nul doute que ces agences de rating seraient remplacées par de lourdes structures administratives au pays du Colbertisme ! Pour d'autres, il faut laisser le marché s'autoréguler. Cette option a conduit, comme on l'a vu, au capitalisme de copinage.

En finir avec les usines à gaz de la finance

Il y a un autre problème que l'indépendance des agences de rating. C'est celui de la complexité des produits structurés dont elles sont censées évaluer le risque. Avec l'aide de mathématiciens, des banques comme la SocGen ont mis au point des produits financiers sophistiqués dont personne, y compris le président énarque Daniel Bouton, ne comprenait les risques qu'ils présentaient.

Qu'importe la transparence des marchés financiers si personne ne comprend comment ils fonctionnent ! Warren Buffet, le sage d'Omaha, a fait sa fortune en n'investissant que dans des sociétés dont il comprenait le business. Il a commencé par une usine textile, Berkshire Hathaway, dont il a gardé le nom pour son empire financier. Sa fortune personnelle de 62 milliards de dollars le mettrait à la 82ème place dans le rang mondial des États du monde, juste derrière l'Ouzbékistan, mais laissant derrière lui 147 autres États.

L'économie casino

En forçant le trait, on peut dire que les obligations hypothécaires à haut risque (subprime) ont été créées pour que des investisseurs malins, usant des credit-default swaps (C.D.O) ou des mortgage back securities (M.B.S) puissent s'adonner à une spéculation massive déconnectée des sous-jacents.

Lewis est catégorique. " Appelez cela une assurance si vous voulez, mais ce n'est pas le type d'assurance que les gens entendent. C'est comme si vous achetiez une assurance contre l'incendie pour la maison de votre voisin, laquelle représente probablement dix fois la valeur de cette maison, à une compagnie d'assurance qui n'a pas vraiment la capacité de vous rembourser si quelqu'un met le feu à tout le quartier." Sa comparaison est excellente.

Dans une éventuelle réglementation de ces produits dérivés, le plus important serait de s'assurer que ceux qui vendent ce type d'assurance ont le capital nécessaire pour se livrer à ce genre de spéculation rampante. Des millions de gens vont perdre leur emploi et leur maison à cause des spéculateurs qui sont parfois les mêmes personnes qui ont joué dans cette économie casino.

Bernard Martoïa

 

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