L’analyse graphique du marché indique que nous
sommes au bord du gouffre
« Il est dangereux de laisser entrer le public
dans les coulisses. Il est facilement désillusionné. Il vous en voudra parce
que c’est l’illusion qu’il aimait. » William Somerset Maugham (1874-1965).
La descente aux enfers se poursuit. L’indice Dow & Jones a encore reculé
cette semaine: de 7032 à 6626 points. Il a enregistré
une baisse plus forte que la semaine dernière : 5,7 % au lieu de 4,5 %. La
semaine a été marquée par deux événements : un rebond technique à Wall
Street au cours de la séance de mercredi et l’annonce, vendredi, de 651.000
chômeurs supplémentaires pour le mois de février. A une heure de la clôture
du marché, l’index était à 6490 avant de rebondir à 6626 points. La ligne de
6500 points est cruciale. C’est un plancher vieux de douze ans. Si l’index
le casse, le prochain support est à 4000 points. Autrement dit, nous sommes
au bord d’un gouffre. Soit le marché se stabilise sur ce vieux support, soit
il capitule. Comme le capitaine d’un aéronef prévenant les passagers
d’attacher leurs ceintures avant d’entrer dans une zone de turbulence, il
faut se préparer à un décrochage violent de tous les indices boursiers de la
planète si Wall Street enfonce ce plancher vieux de douze ans. La semaine
prochaine sera décisive.
D’ores et déjà, la crise actuelle est la plus grave de l’histoire après
celle de 1929.
L’index vedette a perdu 54 % de sa valeur depuis le zénith du 9 octobre
2007. Jusqu’à présent, les gouvernements et les médias officiels se sont
refusés à envisager le pire. Ils comparent la crise actuelle à celle de
1982, consécutive à la montée brutale des taux directeurs de la Fed pour
tuer l’hydre de l’inflation, ou à celle de 1974 après le premier choc
pétrolier. Le spectre de la Grande Dépression se dessine, pour peu que l’on
s’intéresse à l’histoire économique. Pour mémoire, l’index avait perdu 89 %
de sa valeur (de 380 à 43 points) en l’espace de 34 mois (du 3 septembre
1929 au 8 juillet 1932) Si ce scénario catastrophique devait se répéter,
l’abysse ne sera atteint que le 9 août 2010 avec l’indice Dow Jones
avoisinant les 1600 points…
Les démocrates sont tout autant désemparés que les républicains face à
l’ampleur des déchets toxiques.
Après l’antienne du « Yes, we can ! » entonné par le président
lors de sa campagne, les démocrates sont pris d’un doute : « Est-ce que le
président savait vraiment ce qu’il convenait de faire pour régler la crise
lorsqu’il s’adressait aux électeurs ? » Pour ma part, je considère qu’Obama
a utilisé une vieille ficelle de la rhétorique pour se faire élire. Il
n’aurait pas pu gagner l’élection s’il avait concédé qu’il était dépassé par
les évènements. Son adversaire a eu la même attitude irresponsable envers
les électeurs américains.
Deux éditorialistes et non des moindres du New York Times ont tiré,
cette semaine, la sonnette d’alarme.
Dans son papier du 4 mars 2009, Thomas Friedman écrit : « Je crains que
tout son premier mandat (Obama) soit pollué par Citigroup, A.I.G, Bank of
America, Merrill Lynch, et toute la bulle immobilière des subprimes que nous
avons gonflé pendant vingt ans. » […] Nationaliser Citigroup peut paraître
bien sur le papier, mais mettre Citigroup sous règlement judiciaire pourrait
déclencher tout un tas de non-paiement des contrats de produits dérivés
qu’il a souscrits. C’est peut être inévitable, mais nous ferions mieux de
comprendre tous les risques des contreparties de Citigroup pour ne pas
déclencher, par mégarde, plus de faillites en cascade, à la Lehman Brothers.
Pour le moment, l’équipe d’Obama semble préférer une approche graduelle qui
consiste en des transfusions de sang aux banques malades. La Fed et le
Trésor semblent essayer de donner à ces banques suffisamment de capital pour
survivre les deux prochaines années, alors qu’elles sont engagées dans un
processus de réduction des risques de leurs avoirs (deleverage), et ils
espèrent s’en sortir pour le mieux. »
Dans son papier du 6 mars 2009, Paul Krugman, le gourou des Keynésiens, a
écrit, pour une fois, quelque chose de sensé : «
Le mois dernier, dans son grand discours au Congrès, le président Obama a
argué en faveur de grandes actions pour résoudre le dysfonctionnement des
banques. Il a déclaré : « Je peux vous assurer que le coût de l’inaction
sera beaucoup plus grand, car il pourrait peser, dans une économie
cahotante, pendant des mois ou des années, voire même une décennie. »
Beaucoup d’analystes sont d’accord. Mais parmi les gens à qui je parle, il y
a un sentiment grandissant de frustration, ou même de panique, concernant
l’échec de monsieur Obama à passer des mots aux actes. La réalité est que
lorsqu’il s’agit de traiter des banques, l’administration d’Obama
tergiverse. Voici comment cela se passe : d’abord, des officiels, parlant
hors des micros, lancent l’idée de venir au secours des banques. Ce ballon
d’essai est rapidement dégommé par des commentateurs informés. Puis,
quelques semaines après, l’administration lance un nouveau plan. Ce plan
est, toutefois, juste une version déguisée du plan précédent, un fait
rapidement réalisé par tous ceux qui sont concernés. Et le cycle continue…
Pourquoi les officiels continuent-ils à offrir des plans que personne ne
trouve crédible ? Parce que les hauts responsables de l’administration d’Obama
et de la Fed sont convaincus que les avoirs douteux, souvent appelés de nos
jours « déchets toxiques », valent beaucoup plus que ce que les gens sont
prêts à payer, et si ces actifs étaient proprement évalués, nos problèmes
seraient réglés. »
Cela est à rapprocher d’une déclaration faite par Timothy Geithner, le
nouveau secrétaire du Trésor, dans laquelle il a fait une distinction entre
la valeur fondamentale et la valeur artificiellement déprimée de ces avoirs
douteux. Les titres adossés aux prêts hypothécaires, même ceux qui
bénéficient du triple AAA des agences de notation, s’échangent à moins de 40
centimes de dollars. Le secrétaire du Trésor pense qu’ils valent beaucoup
mieux que cela. Mais comment faire changer d’avis un marché devenu très
méfiant à leur égard ? Chat échaudé craint l’eau froide.
Le montant des produits dérivés en circulation est peut être le plus
grave sujet d’inquiétude
C’est la raison pour laquelle l’administration Obama ne peut pas se
permettre de nationaliser les grandes banques. Thomas Kostigen est un
analyste de MarketWatch. Dans un papier du 6 mars 2009, son titre est
révélateur du désarroi de Wall Street : « L’éléphant de 700 trillions de
dollars », avec en sous-titre : « Le marché gargantuesque des dérivés pèse
sur tout le reste. » Voici ce qu’il écrit :
« Les contrats dérivés représentent 700 trillions de dollars en montants
« notionnels » selon la Banque des Règlements Internationaux. Ces contrats
sont comptabilisés en valeur notionnelle parce que personne ne peut dire
combien ils valent vraiment. Mais les évaluer correctement est exactement ce
que nous devrions faire parce qu’ils ont propagé le virus qui a infecté les
marchés financiers et les économies du monde. Essayer comme nous le faisons
de sauver le marché de l’immobilier représente au plus 23 trillions de
dollars en Amérique. Nous nous efforçons de sauver le marché des actions,
mais qui est évalué aujourd’hui à moins de 15 trillions de dollars. Et nous
espérons sauver l’entière économie américaine du désastre, alors que le PNB
s’élève à peine à 14.2 trillions de dollars. Comparer cela au marché des
contrats dérivés et vous pouvez voir que nous sommes juste en train de
fermer les fenêtres alors qu’un tsunami s’apprête à dévaster la côte. Le
montant total de tous les marchés d’actions dans le monde représente moins
de 50 trillions de dollars, selon la fédération mondiale des échanges. Il
est sûr que le marché des produits dérivés est international, mais le
problème provient des contrats associés au marché américain de l’immobilier.
Ces contrats ont été montés sur la base de variables liées à leur valeur.
Peu savent ce qu’ils valent aujourd’hui. J’ai parlé avec un trader qui
brasse des milliards de dollars et elle m’a dit qu’elle ne pouvait même pas
évaluer son portefeuille personnel parce que personne ne sait la
contrepartie du marché. La valeur d’un contrat dérivé est déterminée par
l’argent que quelqu’un est prêt à payer pour ce contrat. La valeur est basée
sur un scénario artificiel que X vaudra Y si Z s’engage. Enlevez cette
fantaisie et la réalité de la situation est celui de la chaise musicale,
sans aucune chaise ! Voici pourquoi la musique a cessé de jouer. »
Le sauvetage du marché de l’immobilier est un cautère appliqué sur une
jambe de bois. Imaginons, comme le souhaite l’administration Obama, que des
prêts hypothécaires soient revendus avec une décote à des acheteurs
secondaires, alors toutes sortes de produits dérivés fous inventés par les
mathématiciens seront inévitablement dépréciés à leur tour. Il n’y aura donc
plus de corrélation entre ces contrats dérivés et la valeur du marché
immobilier à laquelle ils sont adossés.
C’est le pot de terre contre le pot de fer, avec d’un côté un PNB
américain de 14.2 trillions de dollars, et, de l’autre, un marché de
produits dérivés de 700 trillions de dollars.
Bernard Martoïa
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