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LCI, dixième anniversaire sur fond de marche funèbre

26/6/04 Claude Reichman
LCI, autrement dit La Chaîne Info, vient de fêter son dixième anniversaire. Elle avait choisi le musée Beaubourg pour cette célébration. La cérémonie, curieusement, avait quelque chose de funèbre. Je n'ai pu m'empêcher de penser que c'est en ce lieu que j'avais situé l'ultime refuge du président de la République dans "La révolution des termites". Tous les bâtiments de l'Etat, attaqués sélectivement par ces terribles insectes, se sont effondrés. Seul Beaubourg reste encore debout, mais pour combien de temps encore ? Recevant un journaliste, le président lui dit : "Regardez bien cette ville. C'est la capitale. Elle portait tous les instruments du pouvoir. Ils se sont effondrés. Et maintenant tendez l'oreille… Vous entendez ce bourdonnement ? Tout continue, tout bouge, tout est joyeux ? Croyez-moi, mon cher, le pays n'oubliera jamais cette leçon. ". J'ai découvert récemment, en lisant les " Ecrits personnels " de Ronald Reagan (Editions du Rocher), qu'il avait, lors d'une de ses chroniques radiophoniques prononcées alors qu'il n'était pas encore président des Etats-Unis, émis une idée identique : " Si le gouvernement, un jour, silencieusement, fermait ses portes, si tous les bureaucrates quittaient sans bruit leurs grandes salles de marbre, il faudrait aux gens de ce pays un temps assez long pour commencer à se dire que quelque chose leur manque, ou même pour savoir que les bureaucrates sont partis. " LCI, c'est un peu cela. La chaîne du gouvernement et des bureaucrates. C'est eux qu'on a vu défiler au micro et plastronner verre en main pendant cette soirée d'anniversaire. Et c'est bien pour cette raison que la cérémonie avait un air funèbre : ses participants sont tous des morts-vivants.

Parmi les 5 000 invités que LCI se flatte d'accueillir chaque année, il y aussi des responsables économiques et des intellectuels. Mais les uns et les autres participent du système et n'en disent jamais de mal. Ils connaissent la règle non écrite mais appliquée rigoureusement par la chaîne : tout propos non conforme vaut à son auteur d'être définitivement tricard. C'est la raison pour laquelle LCI est devenue un robinet d'eau tiède, alors qu'elle devrait, comme tout média audiovisuel, délivrer une information pluraliste, complète, loyale et vigoureuse.

L'immoralité des élites

A quoi certains objecteront que LCI est une chaîne privée et qu'elle fait ce qu'elle veut. Ce n'est pas tout à fait vrai. LCI est une filiale du groupe Bouygues, propriétaire de TF1. La concession de cette dernière a été accordée à ce groupe au vu notamment des engagements qu'il a pris concernant le pluralisme de l'information. Or TF1 a pratiquement banni la politique de son antenne, la déléguant à LCI. Mais celle-ci est une chaîne payante que par définition tous les téléspectateurs ne peuvent pas regarder. On se trouve donc dans l'étrange situation où seuls ceux qui peuvent faire l'effort financier de s'abonner à LCI reçoivent des informations politiques censées les aider à se forger une opinion. Supprimé depuis fort longtemps dans les lois républicaines, le suffrage censitaire a été rétabli sur les ondes !
Personne ne pourra mettre en doute le fait que le groupe Bouygues ne respecte pas le cahier des charges qui lui a attribué la principale chaîne de télévision et l'on attend avec intérêt les explications du CSA, dont le président, Dominique Baudis, présent et interviewé lors de l'anniversaire de LCI, avait choisi il y a quelques mois le 20 heures de TF1 pour dénoncer la machination dont il était victime dans l'affaire Alègre.

Les chaînes d'Etat diffusent, elles, des émissions politiques, mais elles sont rares, le plus souvent programmées en deuxième partie de soirée, et de toute façon elles n'accueillent que " le gouvernement et les bureaucrates ", comme disait Reagan. Elles sont donc en complète rupture avec leurs obligations de service public. Il n'est pas difficile de comprendre, dans ces conditions, pourquoi la démocratie française est malade et que les électeurs désertent les urnes.

Si l'on ajoute le fait qu'une très dangereuse connivence s'est établie entre les journalistes et les politiciens, au point que plusieurs présentatrices de journaux télévisés ou d'émissions d'information sont les compagnes à la ville de ministres ou d'anciens ministres candidats à le redevenir, ou encore de personnes haut placées dans l'appareil d'Etat, et que cette situation paraît normale à tout le monde dans les cercles du pouvoir, on ne peut s'empêcher de penser que cela vous a de furieux airs de république bananière. Interrogée sur le cas de Béatrice Schönberg, compagne affichée du ministre Jean-Louis Borloo, la nouvelle directrice de l'information de France 2, Arlette Chabot, n'a voulu retenir que le comportement professionnel de la journaliste, auquel elle n'adresse aucun reproche. Mme Chabot se trompe lourdement. Quand on demande à des gouvernants de ne pas gérer eux-mêmes leurs affaires, on ne leur impute pas un comportement fautif : on fait en sorte qu'il ne puisse se produire. Les secteurs sensibles de la vie publique que sont les activités gouvernementales et l'information du grand public doivent non seulement être à l'abri du conflit d'intérêt mais aussi du simple soupçon. C'est ce qu'on appelle la morale républicaine. Force est de constater que dans notre pays les politiciens et les journalistes ne connaissent même plus le sens de cette expression. Les peuples acceptent plus aisément les difficultés matérielles que l'immoralité des élites. En France aujourd'hui, on a les deux. Il n'est pas étonnant dès lors que, quand " le gouvernement et les bureaucrates " viennent célébrer l'anniversaire d'une chaîne de télévision, ce soit sur fond de marche funèbre.

Claude Reichman

 

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