Pour ce qui est des finances publiques, nous sommes
d’authentiques Anglais
Les crises s’accumulent, se cumulent, se superposent, s’additionnent
d’une manière totalement inédite dans l’histoire d l’humanité. Comment les
historiens de demain nommeront-ils cette décennie du début de siècle ?
Quelle appellation trouveront-ils pour rendre compte de l’extrême péril que
nous encourrons aujourd’hui ?
Les crises ? Celle de l’économie, bien sûr, multisectorielle et mondiale,
mettant en cause l’idée même du seul système performant que l’homme ait su
inventer jusqu’ici, le marché régulé - il en a inventé d’autres, mais tous
catastrophiques. Crise sanitaire : cette grippe porcine, dernier avatar
d’une catastrophe dont les scientifiques disent depuis des années que la
question n’est pas de savoir si elle surviendra, mais quand elle surviendra.
Et par dessus tous ces dangers, la crise des crises, la planète qui regimbe
sous l’effort, le climat qui se dérègle, l’eau et l’air que l’activité des
hommes a gravement, si ce n’est irrémédiablement, pollués.
Ces périls-là, inconnus dans leur ampleur et leur conjugaison, nous les
abordons aussi avec des armes dont nous ne disposions pas auparavant. Les
connaissances scientifiques et techniques permettent des diagnostics d’une
précision inconnue jusqu’ici. Le savoir technologique suggère des espoirs de
réponses à la hauteur des défis. Et la conscience même des hommes est un
atout dans ce moment critique de notre histoire. Quelques décennies plus
tôt, des crises d’une certaine ampleur suggéraient aux gouvernants des
réponses guerrières, agressives, la désignation artificielle d’ennemis, que
les réflexes d’antan et la faible éducation des peuples permettaient de
faire partager au plus grand nombre. Aujourd’hui, ce type de discours est
plus difficile à élaborer, nettement plus difficile, ce qui n’autorise pas
pour autant à écrire qu’il est impossible ou inimaginable.
Aucune crise n’est négligeable, et parce que toutes les manifestations de
faiblesse ou de désordre des sociétés s'agrègent les unes aux autres,
chacune mérite d’être pointée. Depuis plusieurs jours, les articles
fleurissent dans la presse française, inspirés par la pensée des économistes
et les propos des responsables politiques, sur l’état des finances publiques
britanniques. Le problème n’est pas mince, car il est inimaginable de penser
affronter les crises évoquées précédemment avec une trésorerie en désordre.
Or, rien ne va plus à Londres. Une explosion de la dépense publique, décidée
pour faire face à l’affaissement du système financier et à ses conséquences
industrielles, met à mal les équilibres budgétaires. Le déficit budgétaire
des deux prochaines années atteindra 12 % du PIB et la dette, cumul des
déficits annuels, pourrait culminer à 80% du PIB.
Compte tenu de ces chiffres, l’Etat britannique a eu du mal à souscrire un
emprunt au mois de mars. Le débat public tourne désormais autour de la
possibilité de voir ce grand pays appeler prochainement le FMI à la
rescousse. Cette situation a suggéré un papier à la rédaction du Figaro,
vendredi dernier. Le titre : « Sondage: la descente aux enfers de Gordon
Brown » Et le sous-titre : « Les conservateurs menés par David
Cameron s’envolent dans les sondages, mais risquent de prendre le pouvoir
avec des finances publiques dans un état catastrophique ».
Tout cela est juste et ne mérite aucune critique. Pourquoi alors le
mentionner? Parce qu’en lisant ce sous-titre, vendredi dernier, une question
s’est imposée à mon esprit. Comment qualifierions-nous, si nous devions le
faire, si nous étions obligés de le faire, l’état des finances publiques
françaises ? Il m’est souvent reproché d’exagérer, ou bien de focaliser
abusivement le raisonnement sur le déficit, qui n’est pas forcément en soi
une mauvaise chose, et tant d’autres arguments susceptibles de nous
renforcer dans l’admiration de la créativité de l’esprit humain, et aussi
dans son inépuisable capacité à cacher la poussière gênante sous les tapis
et la tête dans le sable.
Quoi qu’il en soit des idées des uns et des autres, reste le problème : quel
qualificatif mérite l’état actuel des finances publiques en France ?
Rappelons quelques données objectives et non polémiques. Le déficit annuel
est estimé pour 2009 à 5,6 %, cela dans l’hypothèse d’un PIB en régression
de 1,5 %. Or, nous savons tous que la régression sera plus forte que
l’hypothèse gouvernementale, au moins 2,5 %, peut-être et sans doute 3 %.
Même en partant de ces configurations basses, la Cour des comptes prévenait
qu’à l’horizon 2012 la dette publique française, produit de l’ensemble des
déficits accumulés depuis trente ans, avoisinerait les 80 %. Tiens, tiens,
tiens...
Ajoutons, pour compléter le tableau, qu’en France, contrairement à d’autres
pays, et notamment la Grande-Bretagne, le niveau de fiscalité est déjà très
élevé, et celui des dépenses publiques aussi. Cela réduit considérablement
la marge de manoeuvre des gouvernants. Difficile, d’une part, d’augmenter
encore les impôts de manière significative en France. Délicat, d’autre part,
de couper dans les finances publiques quand un large pan de la société vit
uniquement grâce à la dépense publique.
Compte tenu de tout cela, plus de l’état de la météo et de l’âge du
capitaine, comment est-ce donc que nous pourrions qualifier l’état des
finances publiques en France ?
Est-il bon ? Moyennement bon ? Passablement bon ? Un peu mauvais ?
Simplement mauvais ? Mauvais ? Ou bien, ici comme ailleurs, catastrophique ?
Personnellement, et sans surprise, je crois que seul le dernier qualificatif
corresponde à la situation. Mais même au-delà du débat, juste ce constat :
nous nous abstenons, dans le débat public, de qualifier nos finances. Mais
nous le faisons allégrement pour les autres pays. Voilà qui est intéressant.
Qualifier ailleurs et pas ici est une autre manière de dire que nous nous
pensons et vivons comme à l’abri de la crise, avec l’idée que nous savons
pourtant fausse que la crise est ailleurs et pas ici.
Notre premier et pire ennemi, à nous, Français, c’est notre culture, qui
nous fait voir le monde tel que nous l’imaginons et le rêvons parfois, et
non pas tel qu’il est, cruel et dangereux pour le peuple que nous sommes,
inadapté aux temps actuels.
Jean-Michel Aphatie
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