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8/6/09 Jean-Michel Aphatie
 Un pouvoir dont l’assise populaire demeure faible,                          une opposition émiettée

Quelles élections européennes, mesdames et messieurs ! Une campagne réputée ennuyeuse, décalée, et pour terminer, un feu d’artifice inattendu et spectaculaire.

Le vainqueur du scrutin européen ? Pas Daniel Cohn-Bendit, non. Il en est, c’est incontestable, la surprise. Mais le vainqueur, c’est Nicolas Sarkozy. Le climat autour de lui et de son action, durant ces dernières semaines, le poids de la crise économique aussi, le climat social dégradé par de multiples conflits, le débat autour des libertés publiques, journalistes sous contrôle, justice sous contrôle, enfin la dictature quoi, tout cela composait une mayonnaise dont on pensait, disait, lisait, qu’elle étoufferait l’ « omni président ». Résultat des courses : faux. L’UMP, qui totalise 27,87 % des suffrages, ce qui n’est pas extraordinaire pour un parti qui représente toutes les droites, réalise un score honorable qui relégitime la majorité présidentielle et son inspirateur.

Le naufrage, ce fut assez inattendu hier soir, concerne le parti socialiste. 16,48 % des suffrages, alors que les sondages et les références électorales paraissaient lui garantir au moins 20 % des suffrages. Naufrage au premier sens du terme, c’est-à-dire un résultat historiquement faible, mais naufrage au second sens du terme, celui d’un parti politique qui se retrouve dans la mer sans canot de sauvetage, sans bouée, sans rien.

Cet échec, peut-on penser, est celui de Martine Aubry. D’accord, partons de là. Faut-il la remplacer ? Par qui ? Pourquoi faire ? Bâtir un programme plus à gauche ? Mois à gauche ? Plus à gauche que quoi, d’ailleurs ? Ou moins à gauche que qui ? Et pour quelles alliances ? Besancenot ? Interrogé hier soir sur un plateau de télévision, Arnaud Montebourg, député PS et président du conseil général de Saône-et-Loire, a évoqué la réunion des gauches comme une solution à la crise du courant socialiste, incluant explicitement Olivier Besancenot dans cette alliance fantasmée. Est-ce donc la solution, pour le courant social-démocrate français, que cette main tendue en direction de celui qui, par exemple, réclame l’interdiction des licenciements ? Le seul fait de poser la question dit bien l’extraordinaire perte de repère, de sens, d’élémentaire équilibre des socialistes français.

Qui donc les a fait vaciller, en ce dimanche européen ? Trois réponses possibles, qui se ressemblent et qui pourtant divergent. D’abord, Daniel Cohn-Bendit, chef de file d’Europe Ecologie. Ensuite, la campagne de Daniel Cohn-Bendit, la seule européenne, lit-on et entend-on, la seule liste qui ne se soit pas trompée de campagne. Enfin, Europe Ecologie, ce rassemblement inédit d’un européen, Daniel Cohn-Bendit, d’un altermondialiste, José Bové, d’une personnalité morale, Eva Joly, d’un parti politique, les Verts. Tout cela est très beau, et c’est avec des idées générales que l’on écrit le roman de la politique, pas sa vérité.

Disons d’abord que si la campagne d’Europe Ecologie est la seule réputée européenne, peu de citoyens, très peu de citoyens, seraient capables de citer spontanément une proposition, ou deux, ou trois, de cette liste. Le talent d’Europe Ecologie est davantage d’avoir fait croire à une campagne européenne que d’en avoir réellement mené une.
Comment définir, d’ailleurs, Europe Ecologie ? Quelle est la vision économique de l’agglomérat cité ? De l’euro ? Des critères de Maastricht ? De la place de la BCE ? Quelle est la politique d’immigration prônée par ce rassemblement ? L’ensemble des membres associés partagent-ils le mot d’ordre des Verts à ce sujet : régularisation immédiate des sans papiers présents sur le territoire français ? Réaliser cela serait condamner l’Europe de Schengen. Est-ce le souhait d’Europe Ecologie ? En fait, bien peu des votants se sont souciés de l’identité politique d’Europe Ecologie mais se sont arrêtés à la vitrine, c’est-à-dire au mot « Ecologie » et à son principal représentant, Daniel Cohn-Bendit.

L’homme est sympathique, il a l’air sincère. Beaucoup de téléspectateurs ont jugé qu’il avait été la victime d’une agression indigne, jeudi soir, sur France 2. On peut formuler l’hypothèse d’une figure de substitution et suggérer que le flou de son identité politique lui a attiré les faveurs de socialistes déçus et de bayrouistes fatigués. Une valeur refuge en quelque sorte, avec la faiblesse des valeurs refuges, que l’on peut quitter très vite si les offres concurrentes sur le marché retrouvent quelques attraits.

Reste le cas Bayrou. Son panache et la solitude dans laquelle il le promène ont souvent retenu l’attention et parfois pu séduire. Cette fois, visiblement, il a davantage fatigué que convaincu. Ce n’est peut-être pas irrémédiable, mais c’est sérieux. Sans doute François Bayrou doit-il en finir avec son antienne de la liberté qu’on assassine et de la dictature qui s’installe. Il lui faudra être, s’il veut refaire du chemin perdu, à la fois plus précis et plus subtil. Finie, sans doute, la signature apposée au bas d’une pétition qui annonce la disparition de la République. Terminé le discours annonciateur des complots passés, présents, et à venir, réalisés avec l’appui et le soutien de journalistes veules et de sondeurs affairistes. A force de se vautrer dans ce marigot, on se salit. Et c’est là qu’on ne séduit pas. Trop de caricature et pas assez de hauteur. Mauvais cocktail. Changer les doses. A moins qu’il ne soit déjà trop tard.

Voilà le paysage politique d’après Européennes. Un paysage qui surprend. Faut-il, à ce propos, incriminer les sondages ? Avaient-ils, ou non, prévu tous ces mouvements d’opinion ? Séparons les questions. Les sondages, Sofres, Opinion Way, CSA, Ipsos, avaient globalement annoncé le niveau de l’abstention et celui de l’UMP. Les sondages ont saisi, en toute fin de campagne, le croisement des courbes entre Europe Ecologie et le Modem, ce qui a d’ailleurs conduit François Bayrou à prévenir d’un énième complot. En revanche, c’est vrai, les sondages, globalement, n’ont pas évoqué de manière décisive la chute du PS. Une ou deux fois, il fut pointé à 19 %, le plus souvent en fin de campagne à 20 ou 21 %. Au total, donc, le bilan n’est pas si mauvais, si l’on veut considérer que pour les autres listes (NPA, Libertas, FN, Parti de gauche, etc.), les potentiels ont été assez justement repérés. Au total, les sondeurs ont plutôt pas mal perçu l’impact de la campagne sur l’opinion publique.

Voilà donc une rapide dissection de la secousse que nous avons vécue dimanche. Elle dit l’extrême désordre de la scène politique française, un pouvoir dont l’assise populaire demeure faible, et dont l’opposition face à lui est politiquement émiettée et idéologiquement explosée. Tous ces éléments-là sont ceux d’une société malade et anxieuse, qui dans la majorité de ceux qui la composent ne trouve dans le champ public aucun leader ou aucun projet susceptible de calmer ses angoisses. Révélateur du désordre, le scrutin européen de dimanche décrit une France dans le doute et faiblement capable de peser sur le destin du continent.

Jean-Michel Aphatie

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