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5/12/08 Jean-Michel Aphatie
Rien de bon ne sortira du chapeau             magique de Sarkozy !

Pas facile de commenter le plan de relance annoncé hier par le président de la République. Pour commencer, voyons par là.

L’existence même de ce plan, 26 milliards d’euros, ainsi que la décision d’en avancer l’annonce, initialement prévue au début de l’année prochaine, démontrent que les autorités politiques de ce pays redoutent pour 2009 une récession dont ils taisent pour l’instant soigneusement l’ampleur potentielle. En effet, les discours demeurent vagues tandis que les prévisions officielles sont toujours optimistes. Il faut rappeler que le théâtre d’ombres parlementaire – parfois, on a seulement envie d’être méchant – est en train de voter un projet de budget construit sur une hypothèse de croissance minimale de 0,2 %, ce qui est totalement farfelu quand on mesure la panne du secteur automobile et l’effondrement du secteur immobilier. Il paraît évident que l’année 2009 sera une année de récession économique, en France et en Europe, que le chômage, hélas, risque d’exploser comme cela se produit actuellement en Espagne, et qu’il est donc de bonne politique d’imaginer sans attendre une réponse susceptible d’atténuer un peu le choc.

Un plan de relance est à la fois complexe et simple à mettre sur pied. Complexe par la multiplicité des mesures à mettre en oeuvre, ce qui pose des problèmes d’exécution, donc d’efficacité, mais simple au sens de la stratégie, des choix philosophiques, qui en guident l’élaboration. Schématisons à outrance pour la compréhension du propos.
La relance, c’est d’abord garantir ou développer la possibilité de consommer, d’acheter, c’est donc la relance du pouvoir d’achat de certaines catégories sociales. Cette relance-là est un leurre. Par exemple, on abaisse la fiscalité, la TVA, ou bien on augmente significativement des minima sociaux. Le résultat est triplement incertain. D’abord parce que les sommes attribuées à chacune des personnes concernées sont souvent insuffisantes pour modifier vraiment les conditions de vie, donc les comportements, alors même que la réunion de ces sommes crée immédiatement un trou dans les finances de l’Etat. Ensuite parce que la faible compétitivité de nombreux secteurs de l’économie française ne leur permet pas de bénéficier de ce regain éventuel du pouvoir d’achat, qui profite plus directement aux produits importés, voitures, vêtements, alimentation... Enfin, parce que l’augmentation des bas salaires, du SMIC par exemple, dégrade encore les conditions de la concurrence entre les entreprises.

L’autre grand axe d’une relance économique potentielle, exposé par Nicolas Sarkozy hier, à Douai, consiste à privilégier des investissements, notamment dans les infrastructures publiques. Les avantages, là, sont nombreux. Les équipements construits sont utiles à la collectivité. Leur construction génère beaucoup d’emplois directs. Les emprunts contractés pour les réaliser paraissent plus légitimes que ceux souscrits pour financer des dépenses de fonctionnement.

En ce sens, le plan présenté hier possède davantage de vertus que n’en aurait eu un centré sur la consommation immédiate. Le problème, malgré tout, tient au volume d’emprunts nécessaire pour mettre sur pied cette relance.

Sur les 26 milliards d’euros que coûterait ce plan, nous annonce-t-on, une quinzaine « seulement » devront être empruntés, le reste consistant en mouvements comptables de remboursement anticipé de TVA ou de paiement accéléré des factures dues par l’Etat. Ces réserves faites, il n’en faut pas moins faire les comptes. Ils sont vertigineux.
Avec les 0,2 % de croissance que nous n’aurons pas, il était déjà prévu que le déficit budgétaire 2009 culminerait à 52 milliards d’euros. Si nous y ajoutons les quinze annoncés, nous sommes à 67 milliards, et comme il s’agit d’euros, nous sommes là en présence d’un horrible record. Comme l’année s’annonce horrible, on peut pronostiquer que les recettes globales de TVA ou d’impôt sur les sociétés seront sans doute inférieures aux prévisions. Il est donc très probable que le déficit budgétaire en 2009 passera la barre des 70 milliards d’euros.

Lors des exercices 2007 et 2008, la France remboursait pour les seuls intérêts de ces emprunts la somme faramineuse de 50 milliards d’euros, soit davantage que ne lui en rapporte l’impôt sur le revenu. Ce poste-là va considérablement augmenter lors des exercices budgétaires des deux ou trois prochaines années. En effet, aux emprunts directement liés au plan de relance, il faut ajouter ceux déjà souscrits pour recapitaliser les banques (10 milliards d’euros), plus le renflouement de Dexia (1 milliard pour l’Etat), plus l’abondement du fonds stratégique (3 milliards), plus la partie d’emprunts que je ne sais plus chiffrer à l’instant pour financer le plan PME (22 milliards). Bref, alors même que la relance ne fera qu’amortir un peu le potentiel de récession de l’économie française, il est très vraisemblable que le poste dédié au paiement des intérêts explose, lui, dans les prochaines années.

Face à cela, un pouvoir ne possède pas beaucoup d’alternatives. Ou bien, il ne fait rien, il laisse filer en attendant le possible retour d’une hypothétique croissance. Alors, la charge de sa dette croît de façon exponentielle, avec le risque qu’à un moment les prêteurs se détournent des obligations d’Etat, ce qui fait poindre la possibilité d’une crise financière à côté de laquelle une crise économique est une bluette. Ou bien, le dos au mur, la mort dans l’âme, l’Etat réagit et pour comprimer l’élargissement de son déficit budgétaire, il se résout à augmenter les impôts, directs ou indirects, peu importe. Alors, c’est le pouvoir d’achat qui se restreint, et c’est l’activité économique qui décline.

Ces scénarii sont volontairement noirs. Ils sont exposés ici pour deux raisons. D’abord parce qu’ils sont possibles, à défaut d’être probables. Il faut les évoquer uniquement pour cette raison, parce qu’ils sont une possibilité, et que ne pas les décrire c’est informer partiellement et partialement les citoyens. C’est ce que fait depuis des lustres la politique française, qui entretient auprès de la population le mythe de cette détestable pensée magique qui accorde à l’action publique des vertus qu’elle ne possède évidemment pas, l’économie réelle se vengeant toujours de la politique virtuelle.
Et puis, une deuxième raison justifie l’évocation de ces évolutions néfastes. La France s’endette depuis trente ans, indépendamment des cycles économiques, en période de croissance comme période de récession. A un moment, inéluctablement, cet endettement se paie. Il se paie au sens strict du terme, soit par le remboursement de la dette, or nous en sommes évidemment incapables, même partiellement, soit par l’écroulement du système.

Ce qui est insupportable depuis longtemps, et qui était net encore à Douai hier, ou bien aussi perceptible dans les propos du premier ministre, sur TF1, dans le journal de 20 heures, c’est la légèreté, voire l'insouciance, sinon l’irresponsabilité, avec laquelle les responsables publics évoquent l’argent public, et hélas l’utilisent. Dans la situation actuelle comme dans les situations passées, le discours officiel sonne faux pour cette seule raison qu’il n’est pas sincère. Pour rester sur la scène d’hier, l’illusion a été installée d’un investissement public massif qui évitera à la France la récession comme la rigueur. Ce n’est pas vrai, chacun le sait. Il fallait faire quelque chose, d’accord, mais nous le faisons dans des conditions générales et intérieures tellement dégradées que nous n’éviterons pas grand chose de l’épreuve qui nous attend.

Les vingt-six milliards sortis de l’inépuisable chapeau magique de la politique française retarderont encore l’échéance, mais ils n’auront pas le pouvoir, hélas, de la faire disparaître.

Jean-Michel Aphatie

 

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