La crise est là !
La crise est là. Et quand on a écrit cela, on n’a encore rien écrit.
C’est d’abord la planète financière qui s’écroule, c’est-à-dire la part
immatérielle de l’économie. Du coup, nous sommes dans cette situation
parfaitement étrange où tout s’écroule, de manière spectaculaire, et nous ne
voyons rien, n’entendons rien. Du moins, pas encore, car après l’écroulement
de l’économie immatérielle, ce sera au tour de l’économie matérielle de
trembler. Elle vacille déjà, partout dans le monde occidental. En France,
pour parler de ce petit pays coincé au bout de l’Europe et qui pèse de si
peu dans l’économie du monde, on se prépare à annoncer une poussée
spectaculaire du chômage, 40.000 chômeurs supplémentaires au mois d’août.
La puissance américaine - car elle est encore une puissance, pour combien de
temps nul ne le sait - tente de stopper l’écroulement de l’économie
immatérielle. L’exécutif américain propose de racheter les actions pourries
des banques et des institutions financières à hauteur de la somme
astronomique de 700 milliards de dollars. A cette heure encore, et malgré
l’urgence, les congressistes américains hésitent, voire renâclent. Et dans
ce balancement, se trouve le formidable danger auquel se trouve confronté le
monde.
Deux hypothèses. Selon la première, et pour des raisons qui peuvent être
défendues, les congressistes américains refusent le plan Paulson de rachat
des actions pourries. Alors, le système financier américain trépasse,
l’économie se bloque, la récession paralyse le pays avant d’étendre ses
effets mortifères à l'ensemble de la planète. Ce serait, pour éclairer le
propos par une comparaison, une crise financière cent fois, mille fois,
supérieure à celle que nos aînés vécurent en 1929.
La deuxième hypothèse serait de voir les congressistes américains accepter
le plan Paulson. Soulagement dans le monde, mais soulagement pervers. La
puissance américaine consacrerait ainsi dans les deux années à venir
l’essentiel de sa substance économique à sauver des obligations pourries. La
puissance américaine alors, pour aller à l’essentiel, se verrait très vite
dans l’incapacité à financer, en plus du sauvetage de son système financier,
l’effort militaire qu’elle produit sur ces deux théâtres lointains que sont
l’Irak et l’Afghanistan.
A l’heure même où le plan Paulson serait adopté, la question du repli
militaire américain au Moyen-Orient serait posée. Dans l’instant, les
Talibans sauraient que leur victoire ne serait qu’une question de temps.
Dans l’instant, les forces irakiennes les plus hostiles à l’Occident
verraient se profiler la perspective prochaine du pouvoir. Et sans
doute,dans ce contexte de crise américaine profonde, l’Iran pousserait-il
les feux pour se doter le plus rapidement possible de l’arme atomique.
Alors, la question d’Israël et de sa défense se poserait pour l’Occident
d’une façon totalement nouvelle.
Il ne s’agit pas ici de noircir le tableau, de céder à un tempérament
personnel, ou d’annoncer par plaisir pervers l’arrivée prochaine de
l’apocalypse. Il s’agit plutôt de dire que l’économie n’est pas un monde
clos, sans influence sur les autres paramètres de la marche du monde. D’une
certaine façon, d’ailleurs, l’économie est le premier paramètre de la marche
du monde, celui sur lequel se règlent tous les autres. C’est pourquoi le
vieux mot d’esprit demeure pertinent : quand on la néglige, l’économie se
venge.
Aucune puissance, en l’occurrence pas la puissance américaine, ne peut à la
fois assumer à une hauteur financière vertigineuse le sauvetage de son
économie et mener en même temps une politique militaire dont le coût défie
l’imagination. Voilà la réalité encore sous jacente de la crise terrible que
connaissent aujourd’hui les Etats-Unis.
C’est en ce sens que la crise actuelle échappe totalement à la comparaison
avec celle de 1929. A l’époque, l’Amérique était militairement autarcique,
elle n’était pas encore le gendarme du monde qu’elle est devenue à l’issue
de la seconde guerre mondiale, événement historique d’ailleurs accouché par
la crise financière de 1929.
Au demeurant et pour en finir, mon propos ne se veut porteur ni d’optimisme,
ni de pessimisme. Les êtres humains sont confrontés malgré eux à des
secousses historiques. Nous l’avons oublié, nous qui vivons en paix depuis
1945. L’espèce survit aux secousses historiques. Elle en sort transformée,
chamboulée parfois, mais vivante, bien sûr. C’est cette secousse qui se
profile. Disons qu’elle est probable et pas certaine, mais elle menace, et
l’intérêt de l’observation, c’est de dire et de décrire ce que ne peuvent
pas dire ceux qui sont dans l’action.
Jean-Michel Aphatie
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