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31/10/08 Jean-Michel Aphatie
De la crise financière à la          crise de l’Etat

Fin de semaine. 8.000 chômeurs supplémentaires. C’est beaucoup. On craignait que ce soit plus après les 41.300 demandeurs d’emploi nouveaux enregistrés en août. Ce n’est que le début. Tout le monde en est convaincu. La politique peut-elle faire quelque chose? Laurent Wauquiez, secrétaire d’Etat chargé de l’emploi, assure que oui. A suivre.

A l’Elysée, hier, le président de la République a repris son discours de suspicion à l’égard des banques. Succès assuré. Qui donc ira défendre les banquiers, quintessences vivantes du capitalisme honni, qui nous nourrit remarquez bien, mais honni quand même. Honni, nourrit, le langage demeure ce qu’il est, une permanente facétie de l’esprit.

Quoi qu’il en soit, toute personne qui recherche un brin de popularité peut sans risque, et avec l’espoir d’un vrai bénéfice, construire et porter un discours anti- banques, anti-banquiers, ouh les méchants, les profiteurs. Ce n’est pas que j’aie spécialement envie de défendre les banquiers. Je n’en connais pas personnellement, ma famille n’en a jamais fréquenté beaucoup et pour tout dire, leur sort m’est globalement indifférent. Mais il est sans doute utile de relever le processus de fabrication des coupables de la crise : les banquiers, la banque, le nouvel axe du mal.

Il serait plus juste de dire que des banquiers, et plus exactement des financiers, ont inventé des produits qui ont assuré la croissance du monde pendant dix ans avant de le plonger dans l’une des plus grandes crises qu’ait connues le capitalisme moderne. Si l’on posait le raisonnement ainsi, on conviendrait que beaucoup de gens s’accommodaient de cette croissance construite sur du sable et que, sans pouvoir en déterminer ni le moment ni les modalités, l’effondrement a constitué une surprise pour peu de ces décideurs. La dénonciation d’aujourd’hui est donc pour une part hypocrite, pour une autre part sotte, car imaginer un système d’échanges entre les individus sans qu’un système bancaire serve de trait d’union, c’est théoriser une société du troc, ce qui ne serait pas précisément un progrès.

Par ailleurs, le monde et ceux qui le dirigent ont longtemps accepté, en toute connaissance de cause, cette croissance bâtie sur du sable. L’argent bon marché en fut le socle, les déficits publics et l’endettement privé, en Amérique et ailleurs, l’expression. Vous souvenez-vous, pour ne parler que de la France, de ces responsables politiques qui, depuis la création de l’euro, vouaient aux gémonies les responsables de la banque centrale européenne, coupables à leurs yeux de ne pas assez libéraliser l’usage du crédit? Si vous la sollicitez, votre mémoire restituera des noms de responsables de droite et de gauche qui aujourd’hui n’ont pas de mots assez durs pour critiquer la folie de la finance.

Cette inconséquence de la politique m’insupporte. Je ne crois pas que l’on dirige une communauté de cette manière. Au passage, ceci aussi. Si je parle autant des déficits publics en France, c’est pour des raisons exactement similaires à celles qui conduisent les dirigeants à dénoncer la folie du capitalisme financier. Voilà trente ans, en effet, que nous faisons reposer notre ordre social sur le sable des déficits publics. En trente ans, croissance ou pas, l’Etat, les régimes sociaux, les collectivités locales, dont les coûts de fonctionnement ont explosé, ont tous dépensé davantage qu’ils ont gagné. Bien sûr, un Etat n’est pas un ménage, et on peut admettre l’idée qu’il fasse du déficit quand l’activité se contracte pour hâter une reprise ou tout simplement empêcher que l’activité ne s’affaisse dangereusement. Mais que le déficit devienne un mode de vie collectif est autrement plus dangereux. La marche de l’Etat français depuis trois décennies, dépensier et déficitaire, gaspilleur, ne revisitant jamais sérieusement la pertinence de la dépense publique, est devenue une culture. Nous ne pouvons plus vivre sans la drogue, c’est-à-dire la facilité, que procurent les déficits. Nous ne savons plus le faire, et c’est pour cela que nous sommes en danger.

Cette culture est tellement ancrée chez nous que nous refusons pour l’instant de voir que les décisions prises par le gouvernement accentuent encore notre faiblesse. Personne ne veut soulever le problème, non pas parce qu’il n’est pas perçu, mais parce que le soulever ressemblerait à un questionnement profond de notre identité profonde. Pourtant, les mêmes causes produiront les mêmes effets. Seul, l’échelle de temps diffère. Depuis les crises pétrolières des années soixante dix, la France a financé son modèle social à crédit. Un jour, le terme et les modalités demeurant inconnues, comme pour la crise financière, des comptes seront demandés parce qu’un jour des prêteurs ne feront plus confiance à l’Etat français. Aujourd’hui, dit-on, on prête les yeux fermés. Soit. Mais déjà, le service de la dette, c’est-à-dire le paiement des seuls intérêts de ses emprunts, représente le deuxième poste budgétaire français, derrière l’effort militaire, avant l’effort éducatif. Demain, dans quelques années, il sera le premier.

Les financiers ont une formule : les arbres ne montent pas au ciel, pour signifier que les cours de Bourse ne peuvent monter éternellement. De la même façon que les arbres ne montent pas jusqu’au ciel, la charge des intérêts ne peut croître indéfiniment. Un jour, le dos qui la supporte craque.

Ayons conscience de cette vérité simple : dans ces mécanismes, la crise financière préfigure la crise de l'Etat. En creusant sans les déficits, nous creusons le trou dans lequel nous tomberons.

Jean-Michel Aphatie
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