Tout peut se dérégler avec une violence
dont nous n’avons pas idée
On peut aimer ou pas François Fillon, approuver ou pas sa politique, moquer
ou pas son style, déplorer ou pas l’abaissement de la fonction de Premier
ministre à laquelle il a consenti. Chacun cependant devrait lui reconnaître
une vertu qui n’est pas mince dans une démocratie, surtout la notre : la
franchise, qui peut même aller chez lui parfois jusqu’à une forme de
brutalité. Voyez cette dépêche AP, 8h42 :
« Le Premier ministre François Fillon a estimé mercredi que l'hypothèse
d'une récession de 2,5% pour l'année 2009 était ″probable″. ″ C’est un
chiffre qui est aujourd'hui probable", a-t-il expliqué sur France-Inter. ″
C'est sûr que cette année 2009 sera une année de récession forte ″, a-t-il
dit. »
Pourquoi mettre l’accent là dessus ce matin ? Pour au moins mille raison.
Les voici dans l’ordre et le désordre. Il y a seulement dix jours, le
parlement a définitivement voté le quatrième collectif budgétaire pour 2009.
Celui-ci prévoyait une perte d’activité de 1,5 %. Il était donc, à
l’évidence, trop optimiste. François Fillon corrige le tir ce matin,
reconnaissant à la fois l'approfondissement de la crise, son impact plus
fort qu’annoncé sur l’économie française et aussi la difficulté croissante
du gouvernement à maîtriser la situation.
Ce constat ne peut pas demeurer sans conséquence. Il signifie d’abord que
les déficits publics seront plus importants qu’attendus. Les 104 milliards
d’euros d’impasse budgétaire pour 2009, record absolu depuis l’après guerre,
devront être revus à la hausse. L’impasse abyssale et sans précédent elle
aussi de la Sécurité sociale, 18 milliards annoncés, doit elle aussi être
révisée. Et surtout, surtout, il faut commencer à anticiper cette gestion
des déficits colossaux, c’est-à-dire commencer à dire quels impôts, quelles
cotisations sociales, seront augmentés d’ici à la fin du quinquennat pour ne
pas risquer la crise majeure, c’est-à-dire la crise monétaire.
Avec un niveau d’endettement comparable au nôtre, mais dans un contexte de
déficit budgétaire plus grand pour les exercices 2009 et 2010, la
Grande-Bretagne en est réduite aujourd’hui à se poser la question d’un
soutien du FMI. Nous pourrions ricaner, mais nous aurions tort de le faire.
Nous aussi, nous nous trouvons sur le toboggan qui peut nous amener là où en
sont aujourd’hui les Britanniques. Si les marchés financiers ne perçoivent
pas clairement quelles politiques les Etats mettront en oeuvre pour éviter
d’accumuler une montagne de dettes qui apparaîtra un jour insurmontable, ils
risquent, ces marchés, de couper le robinet du financement des déficits. Et
c’est là, avec une rapidité et une violence dont nous n’avons pas idée, que
tout peut se dérégler.
Le sentiment me paraît évident que nous n’avons pas conscience de ces
dangers. Et même la franchise du premier ministre, louable, ne nous alerte
pas comme elle le devrait. J’ai souvent écrit, ici, le péril mortel que font
courir aux sociétés la répétition et l’amplitude des déficits publics. Si
l’irresponsabilité politique française n’avait pas été ce qu’elle est depuis
trente ans, trente ans durant lesquels l’Etat a dépensé systématiquement
davantage qu’il n’a gagné, nous aurions pu aborder cette crise atypique,
cruelle, dangereuse, avec d’autres armes que celles qui sont les nôtres
aujourd’hui.
Hélas, faute de culture économique, faute de conscience des nécessités
publiques, faute de réalisme, nous devrons accomplir dans les années qui
viennent un travail herculéen et par beaucoup d’aspects contradictoire. Nous
devrons continuer à rembourser des déficits passés, donc distraire une part
non négligeable de la richesse nationale, l’équivalent et même davantage que
le produit de l’impôt sur le revenu, pour honorer seulement les intérêts des
emprunts passés. Nous devrons inverser la tendance des déficits,
c’est-à-dire soit réduire la dépense publique, soit augmenter les impôts. Et
enfin, tout ce travail, complexe et supérieurement difficile, devra être
fait sans tuer la maigrelette croissance qui réapparaîtra à partir de 2010
nous dit-on, faute de quoi nous nous enfoncerions dans une récession sans
fin.
Ces difficultés-là ne pourront être affrontées sans un discours vrai et
sincère. Autrement dit, la politique française devra se dépouiller de ses
rodomontades, de son volontarisme de pacotille, de ses accents lyriques.
Bref, elle devra changer de culture et de logiciel, et nous avec elle. A
l’évidence, nous n’y sommes pas prêts. Notre cerveau et notre esprit sont
toujours disponibles pour des propos aux accents martiaux, si on veut on
peut, le modèle français et la France éternelle. Le type même de discours
qui ne nous a pas permis de comprendre et de surmonter les défis nés des
chocs pétroliers des années soixante dix, et qui nous a fait prendre un
retard dont nous subissons aujourd’hui le poids.
La franchise du Premier ministre était salutaire, ce matin. Elle ne
représente pourtant que le tout petit premier pas sur le très, très long
chemin qui est devant nous.
Jean-Michel Aphatie
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