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28/1/09 Jean-Michel Aphatie
   Ce n’est pas une récession qui nous         guette, mais un écroulement !

Colère ou inquiétude ? Lequel de ces deux sentiments l’emporte, aujourd’hui, au sein de la population confrontée à l’une des plus graves crises économiques de l’histoire ? Difficile, sinon impossible à dire, bien sûr.

Hier, à l’Assemblée nationale, le député socialiste Jean-Marc Ayrault a questionné le gouvernement : « Entendez-vous la colère qui monte dans le pays ? » Si elle monte, on peut présumer qu’elle recouvre un autre sentiment, l’inquiétude justement. Jusqu’où montera-t-elle ? Est-elle, la colère, déjà dominante ? Jean-Marc Ayrault ne le disait pas explicitement, mais en évoquant l’idée d’une progression, il suggérait bien qu’elle supplanterait, tôt ou tard, tout le reste. Invité de RTL, ce matin, à 7h 50, Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, s’en est tenu à une approche plus classique. La crise provoque de l’inquiétude, a-t-il dit, et sans doute aussi un peu de colère, laissant entendre par là qu’elle ne dominait pas la scène, pas du tout, ou pas encore.

Pourquoi évoquer ce débat sémantique ? Parce que la sémantique se trouve ici au service de la politique. Dans la confrontation d’une société à la crise, l’inquiétude va avec le fatalisme. Chacun fait ce qu’il peut, le pouvoir notamment, mais la mécanique forte qui dérègle tout parait plus forte que les hommes. Il faut alors espérer, attendre, bref gérer l’inquiétude. La colère, elle, signifie le jugement négatif sur l’action et les réponses apportées à la crise. La colère est un message, principalement adressé aux gouvernants : vous pourriez faire autre chose, vous pourriez faire différemment, vous pourriez faire mieux.

Qu’a fait le pouvoir, ici et ailleurs, pour tenter de juguler la crise ? Globalement, un peu partout, ce sont des structures, des secteurs, des entreprises, qui ont été secourus par les Etats. Système bancaire, constructeurs automobiles, secteurs du logement ont suscité des avalanches de milliards de consolidations, participations, garanties, et d’autres choses encore. Cet argent, apparu soudainement, aurait-il pu être utilisé différemment ? Oui, répondent, en France, les organisations syndicales et les partis d’opposition. Il aurait été possible, expliquent-ils, de favoriser les consommateurs, d’augmenter le SMIC, les salaires, les allocations, les minima sociaux, autant de décisions qui auraient valu un soutien à l’activité économique et auraient pu conjurer le péril de la récession.Vrai ou faux ? Chacun peut bien développer son analyse et je ne suis pas sûr que le journalisme aide au débat en mettant son grain de sel. Peut-être d’ailleurs ne doit-il pas le faire car le véritable problème est ailleurs, et l’inquiétude qui s’installe, la colère qui monte, tous sentiments compréhensibles et légitimes, cachent l’essentiel.

La crise des économies, crise gigantesque, est une crise du crédit. Des années de croissance artificielle, d’endettement des ménages ou des États ont suscité des pratiques financières douteuses pour camoufler le problème. Quand ces pratiques financières douteuses se sont trouvées elles-mêmes dévoilées, notamment par la flambée des matières premières à partir de l’automne 2006 qui a modifié les conditions de production, puis, par une réaction en chaîne, les fragiles équilibres financiers des ménages et des institutions financières, c’est l’ensemble du système économique, le secteur financier comme l’appareil productif, qui s’est trouvé menacé. De quelle menace s’agit-il ? Soyons clair. Ce n’est pas une récession qui nous guette, à cela nous survivrons. Ce qui se profile, c’est un écroulement, des banques et de certaines industries, ce qui pourrait beaucoup plus gravement nous atteindre.

Pour tenter d’empêcher cet écroulement, et c’est là que se situe l’essentiel, les États s’endettent. Ils n’ont pas le choix, mais c’est de la folie. Depuis cet automne, ce sont des milliards qui sont levés sur les marchés financiers. La demande est telle que le coût de l’emprunt flambe, et au jour des remboursements, cela pourra être un problème. Autrement dit, la politique de parade des États n’est que la poursuite de la folle politique d’endettement constatée ces quinze dernières années. Pour dire les choses simplement, l’actuelle réponse à la crise est seulement dilatoire, nous gagnons du temps, mais en aucun cas nous ne réglons le problème, d’ailleurs personne ne sait aujourd’hui comment régler le problème.

Mais la catastrophe pourrait être plus rapide que prévu. Car la demande folle de crédit, à laquelle répondent aujourd’hui ceux qui prêtent de l’argent aux États, pourrait bien susciter à terme bref une telle méfiance qu'elle assécherait le marché, les prêteurs ne voulant plus prêter.

Je vous conseille, ce matin, la lecture d’un article dans la presse française. Il se trouve à la page 7 du journal Libération. Il est signé par Vittorio de Filippis. Le titre est éloquent: « L’orgie de crédit, jusqu’à quand? » Et le sous-titre l’est tout autant : « L’endettement des Etats, via des obligations, risque de créer une nouvelle bulle. »

Pourquoi écrire, ou dire cela ? Pour deux raisons, qui formeront une double conclusion. D’abord, contrairement à l’idée reçue, les problèmes du monde économique ou financier sont repérés par les observateurs. Tous les problèmes, et toutes les crises, ont été annoncées avant qu’elles ne se produisent. Simplement, chacun connaît l’adage : il n’est de pire sourd que celui qui ne veut entendre. L’opinion publique est informée et saisie de tout, mais parfois la psychologie collective chasse de son environnement des nouvelles qui contrarient sa structure de l’instant. Pour ne pas mener des vieilles guerres, concentrons-nous sur ce qui est devant. Aujourd’hui, un journaliste écrit un papier détaillé qui est alerte. Il dit que l’emprunt massif des Etats constitue une bulle. Nous savons que le destin de la bulle est l’éclatement. Nous savons aussi que l’éclatement des bulles produit des ravages.

La deuxième conclusion est celle-ci. Le pessimisme n’est ni une règle de vie, ni un plaisir malsain. D’ailleurs, le pessimisme n’existe pas. Seule est présente une volonté de lucidité, et une exigence de sincérité. Dire les choses telles qu’on les voit, et les écrire telles qu’on les sent, ne veut pas dire que le regard ou l’écriture sont justes, mais seulement qu’ils sont honnêtes. Et sans honnêteté, nous le savons tous, il n’est pas de vie commune et démocratique possible.

Jean-Michel Aphatie

 

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