EDF : la quadrature du cercle
Le débat que propose EDF à la société française est passionnant. Voilà
une société prospère et endettée, qui gagne de l’argent chaque année mais
qui a dû emprunter beaucoup d’argent pour financer son développement. L’Etat
demeure le principal actionnaire d’EDF. Chaque année, cet actionnaire
demande à l’entreprise son écot.
Nous sommes loin, dans cette relation, d’un partage des profits en trois
tiers, investissement, dividendes, versements aux salariés. L’actionnaire
d’EDF est impitoyable et demande à être rémunéré pour sa participation
financière dans l’entreprise. Par ailleurs, il laisse les dirigeants se
débrouiller pour financer leurs investissements. Voilà longtemps que l’Etat
impécunieux et endetté ne se soucie plus de remplir le rôle d’apporteur de
capitaux.
Pour financer son développement, notamment à l’étranger, EDF a donc eu
recours à l’emprunt. C’était son unique voie. On peut discuter de la
pertinence des acquisitions, de leurs coûts. En même temps, l’immobilisme
aurait sans doute tué l’entreprise publique, qui sans cela serait restée
passive face au développement des autres. Résultat, aujourd’hui EDF a
pratiquement 25 milliards d’euros de dettes dans son bilan, auxquels il faut
rajouter les trois milliards qu’il vient de lever sur le marché français.
Pour l’avenir, de nouveaux investissements paraissent nécessaires. Il ne
s’agit plus là d’acquérir des sociétés à l’étranger mais de penser au
renouvellement du parc des centrales nucléaires, ainsi qu’à la modernisation
des centrales existantes. Ce dernier point est éclairant. A l’origine, les
centrales construites à la fin des années soixante et dans les années
soixante dix, devaient durer trente ans. Il y a dix ans, l’électricien a
décidé de les exploiter durant quarante ans. Dix ans de répit. Actuellement,
il veut pouvoir les exploiter soixante ans. Mais à force d’être tirée, la
corde s’use. L’allongement de la durée de vie passe par de nouveaux
investissements sur les sites existants. EDF a donc besoin d’argent.
Ne pouvant plus emprunter sous peine de sombrer, il lui reste l’unique
ressource d’augmenter le prix de l’électricité. Si le prix n’en n’était pas
réglementé, le consommateur aurait déjà vu sa facture flamber. Mais après
tout, on peut se dire que puisque la collectivité a consenti, voilà des
décennies, un effort pour la construction des centrales, ce n’est qu’un
juste retour des choses que ses citoyens en paient aujourd’hui les
fournitures moins cher. Seulement, cette logique aussi s’épuise. Et la somme
des contraintes pousse Pierre Gadonneix, pdg d’EDF, à demander aujourd’hui
un relèvement de 20 % de l’électricité dans les trois ans à venir.
Cette demande, évidemment, est adressée à l’Etat. C’est lui qui surveille et
encadre le prix de l’électricité. Pour d’évidentes raisons politiques,
encore plus fortes et évidentes pendant la crise, l’Etat n’a aucune envie
d’accorder au pdg d’EDF ce qu’il demande. En même temps, l’Etat actionnaire
sait bien que la demande du pdg d’EDF est légitime. Il faut bien les
financer, ces investissements, qui ne sont rien d’autre que ces fameuses «
dépenses d’avenir » dont on nous rebat les oreilles ces jours-ci. Mais les
financer au prix de la colère des consommateurs, est-ce raisonnable ? Voilà
bien un cas typique de schizophrénie dont on pourra surveiller l’issue avec
gourmandise.
Deux données complémentaires pour affiner la réflexion. La première tient à
la culture économique de ceux qui doivent prendre la décision. EDF réclame
l’augmentation des tarifs en plaidant le risque de l’endettement excessif,
auprès de gens qui vivent depuis des années dans l’endettement excessif.
Comment ces cultures là peuvent-elles dialoguer et trouver une solution ?
Par ailleurs, les décideurs sont aussi des élus locaux, qui souvent
conservent leur mandat dans l’exercice de leurs fonctions ministérielles.
Voyez par exemple le ministre de l’industrie qui est demeuré maire de Nice.
Comment voulez-vous que cet homme-là construise sa réflexion en tant que
ministre chargé de définir l’intérêt général ?
Morale de tout cela sous forme de questions. Est-ce une chance ou pas
d’avoir l’Etat comme actionnaire ? Une entreprise ouverte au monde comme
EDF, performante d’ailleurs à l’étranger, gagne-t-elle en souplesse et
réactivité avec l’Etat comme actionnaire ? Qui avantager dans la réflexion ?
Le consommateur qui vote en 2012, ou bien l’entreprise qui doit rénover son
outil industriel dans les parages de 2020 ? Enfin, comment prendre une
décision sereine quand les besoins se multiplient et l’argent se raréfie ?
Comme dirait Marianne, hebdomadaire anti-pensée unique cultivant une
pensée droitière, il n’est que temps de prendre conscience des périls que
nous font courir la "dette vertigineuse" et les « déficits abyssaux ».
Jean-Michel Aphatie
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