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30/10/08 | Jean-Michel Aphatie |
L’économie s’effondre Le matin, je me lève tôt. Vaut mieux. Il était donc un peu plus de 5 heures quand l’information m’est tombée sur la tête. Je n’ai pas bien compris, d’abord, où cela se passait, j’ai juste saisi que des hauts fourneaux d’une quelconque aciérie allaient fermer à la mi novembre et ne rouvriraient, peut-être, et peut-être pas, qu’en février. A la réflexion, c’est logique, parfaitement logique. Les constructeurs automobiles ferment leurs usines. Donc, ceux qui fabriquent la tôle que les constructeurs assemblent ferment aussi. Tout comme fermeront demain les fabricants de peintures pour automobiles, les selliers, les marchands de batterie et d’essuie-glaces, et tant d’autres encore. Terriblement logique et absolument désespérant. Apprendre sans comprendre, à cinq heures du matin, que des aciéries vont fermer, c’est-à-dire le socle de la société industrielle, sa base, c’est comme entendre, derrière les mots, que tout va finir par s’arrêter. Donc, c’est la crise. Elle est là, confirmée ce matin par Eric Woerth, le ministre du budget, qui intervenait sur France Inter, la radio qui édite des livres politiques et met son logo dessus. « Le ralentissement de l’économie, a-t-il dit, est extraordinairement fort. » Au moins, c’est dit. Tant mieux. On ne fabrique pas de la confiance en cachant la vérité. Dire, nommer, c’est aussi faire comprendre, partager, pour tenter, ensuite, de mobiliser les énergies et de relever la tête. La politique se perd dans le mensonge et se grandit dans la vérité, toujours. Eric Woerth a poursuivi ainsi son raisonnement sur la radio qui fait ce que vous savez : « Nous sommes en train d’essayer d’agir puissamment pour faire en sorte que le choc de la crise soit le moins fort possible. » Plan d’aide aux banques, dix milliards, plan de soutien aux collectivités locales, 2,5 milliards pour l’Etat, contrats aidés, fonds souverain pour les PME, on en passe et on en oublie, il y en a tous les jours, c’est ça « l’action puissante ». Bravo, «l’action puissante » ! Quel gouvernement ! Et quel président ! Quelle chance nous avons, nous Français, protégés par l’action puissante ! Ce que l’on ne nous dit pas, ce dont personne ne parle, dont personne ne veut parler, tout le monde sait, mais tout le monde tait, c’est : comment nous finançons « l’action puissante ». Le savez-vous ? Bien sûr vous le savez. A crédit, on emprunte, on fait la manche, on fait ça depuis trente ans me direz-vous, mais là, c’est à haute dose, des milliards pour les banques, les PME, les collectivités locales, les emplois aidés, les contrats de transition, et tout le reste. Il se dépense, Nicolas Sarkozy, ah oui, mais il dépense aussi. Depuis un mois, nous vivons dans la brume des mauvaises nouvelles, la tête assaillie des fermetures d’usine, des licenciements, des menaces de faillites ou d’écroulement du système. Il faut faire face, il faut faire feu, il faut éteindre le feu. Mais quand cessera l’agitation, que la tempête se sera un peu calmée, que reviendra un calme certainement précaire, ferons-nous les comptes, regarderons-nous les comptes ? Le budget 2009 de l’Etat français, que sont en train de voter les députés, prévoyait un déficit budgétaire déjà colossal, et supérieur aux prévisions d’avant la vraie crise, de 52 milliards d’euros. Qu’en sera-t-il en réalité ? On nous dit, certes, que la plupart de ces dépenses faites sont faites hors budget. La plupart mais pas toutes. Soit. Elles ne sont toutefois pas hors réalité. Les dix milliards prêtés aux banques, pour entretenir le flux de crédit, il a fallu les emprunter, les 2,5 milliards aux collectivités locales aussi. Du coup, la dette augmente, et donc le service de la dette, les intérêts qui étaient déjà calamiteusement lourds. En outre, le ralentissement « extraordinairement fort » de l’économie va faire baisser de manière « extraordinairement forte » les recettes fiscales de l’Etat. L’un dans l’autre, hors budget ou pas, la crise aura pour premier effet de faire exploser l’endettement d’une France qui s’endette depuis trente ans. La vérité ne se divise pas. Il faut la dire tout entière pour que chacun ait conscience de ce qui se joue réellement. La crise, c’est cela la vérité, par ses effets multiples, immédiats ou différés du fait des décisions gouvernementales, nous met très gravement en danger. Le péril qui nous guette est immense. Le secteur privé de l’économie est au bord de l’infarctus. C’est pour cela que l’on injecte aujourd’hui, et avec raison, de l’argent public. Mais du coup, le secteur public de la société se trouve, lui, menacé d’étouffement. Comment parviendra-t-il à rembourser les milliards qu’il doit et qu’il continue à emprunter ? Hausse des impôts ? De la fiscalité ? Baisse de la dépense publique ? Ces questions là sont d’ores et déjà posées. Personne ne possède les solutions pour éviter le drame mais chacun sait que ce ne sont pas des miracles qui nous tireront d’affaire. Nous sommes dans l’épreuve, elle est immense. Il faut l’affronter, lucidement, calmement, mais sans rien dissimuler de ce qui se joue et de ce qui se noue. Il faut poser et se poser toutes les questions, ne rien laisser dans l’ombre, et ne pas faire semblant de ne pas voir les problèmes. Il faut tout dire, tout se dire, tout nous dire. Parce que de toutes façons, un jour ou l’autre, tout apparaît et tout est visible. Jean-Michel Aphatie |