Gouvernance : il faut être très fort pour n’être
compris de personne et fâché avec tout le monde ! Projet de loi sur l’Hôpital. Projet de loi nécessaire, nous dit-on,
mauvaise organisation, déficits financiers, gaspillage d’argent public.
Peut-être vrai, sans doute vrai, donc une loi nécessaire. Seulement, pour
l’écrire ce projet de loi, le gouvernement semble avoir privilégié une
méthode inédite, révolutionnaire, bouleversante.
D’abord, le gouvernement écrit un texte. Il l’écrit avec son autorité, sa
capacité d’expertise et, on l’imagine, un dialogue avec les personnes
concernées, à tout le moins leurs représentants. Le président de la
République assure sa part d’explication. Ce texte, dit-il, c’est doter enfin
l’hôpital d’un patron, c’est indispensable, urgent, donc il faut le faire.
Ce texte, si beau, si propre, est voté par les députés. C’était le 18 mars.
Ce n’est pas rien des députés, tous ensemble, ils représentent la Nation. De
ce dernier concept, pourtant, les médecins se moquent. Ils descendent dans
la rue. Mauvais, ce texte, disent-ils. Il privilégie la rentabilité au
détriment de la santé. Symbole de cette inacceptable hiérarchie des
priorités : le rôle du directeur, du patron, puissance administrative à
laquelle devra se soumettre le pouvoir médical.
Première surprise : le président et le gouvernement donnent raison aux
médecins. En clair, ils conviennent que la première mouture du texte n’était
pas bonne. Pardon, pardon... Se pourrait-il que quelqu’un au gouvernement
ait mal travaillé ? Texte imprécis ? Flou ? Mal adapté ? Et le président,
l’aurait-il mal lu, trop vite, pour le soutenir ainsi ?
Pas d’introspection, on fonce. Nouvelle ligne gouvernementale. Puisque de
l’avis général le texte est mal foutu, on va le réécrire. Le Sénat est prié
d’adopter des amendements, voire d’en ajouter. L’essentiel, c’est que ce
texte change. Bien sûr, disent les députés, changeons donc le texte que nous
venons de voter, pas d’amour propre, très bien, si nous avons voté des
bêtises, on ne s’excuse pas mais on les efface. Mais après le Sénat,
dites-nous, aura-t-on le droit de revoir le texte, car tout de même nous
représentons la Nation, ne l’oublions pas. Ah non, répond le gouvernement,
assez perdu de temps, une lecture au Sénat et fissa, la loi est votée, ça
suffit comme ça.
Au passage, mentionnons juste ceci : les médecins ne sont toujours pas
contents des modifications apportées. La gouvernance de l’hôpital leur
paraît toujours trop déséquilibrée au profit du directeur, au détriment de
la médecine. Le gouvernement répond pourtant qu’il ne changera plus rien à
son texte. A ce propos, ne jurons de rien, attendons.
Que conclure de ce galimatias ? Il faut évidemment être très fort pour finir
par n’être compris de personne et fâché avec tout le monde. Mais il y a
plus, et mieux, dans cet épisode. Il y a la démonstration de la fausseté de
cet argument perpétuel de la sphère politique en faveur du cumul des
mandats. Le cumul, nous répète-t-on à longueur de temps, permet au
législateur et plus largement aux responsables politiques de demeurer les
pieds sur terre, au contact du terrain, donc toujours proche de la société
et de ses problèmes.
Le texte sur l’hôpital prouve largement l’inverse. Ni le président, ni le
gouvernement, ni les députés, n’ont anticipé les difficultés avec le corps
médical. Le cas des députés est intéressant car en temps que maires,
souvent, ils président le conseil d’administration de leurs hôpitaux. Malgré
cela, ils semblent bien avoir voté le texte proposé par le gouvernement en
méconnaissance de cause. C’est, semble-t-il, le cas aussi avec le texte sur
les Universités, et pour une large part encore à propos du téléchargement
illégal.
On peut imaginer, à l’inverse, des parlementaires pleinement investis dans
leur mandat qui auraient mieux étudié le texte en commission, auditionné des
praticiens, cherché à se faire une opinion par eux mêmes, et qui auraient
ainsi pu alerter le gouvernement. Là, on le voit, les choses se sont passées
très différemment. Le texte est le produit d’une démarche administrative
probablement rationnelle, soucieuse de traduire dans la loi l’intuition
présidentielle, « il faut un patron à l’hôpital ». La ministre qui porte
ensuite ce projet l’impose à des députés occupés ailleurs, donc distraits.
Et nous arrivons, au bout du chemin, à une somme de désordres et de
malentendus qui ne sont que la traduction de la médiocrité de la gouvernance
française.
Jean-Michel Aphatie
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