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23/3/09 | Jean-Michel Aphatie |
L’inhumanité de la justice Aujourd’hui, c’est la crise, et demain, on nous le promet, c’est la reprise. Mais c’est quand la reprise ? 2010, affirme et répète Christine Lagarde, 2010, elle l’a redit hier. Que lit-on dans Le Monde de samedi ? Interview de Jean-François Copé, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. Question du journal : - Quel est le rôle des députés dans une crise de cette ampleur? - Préparer l’après crise, répond Jean-François Copé. Même s’il faut compter un minimum de dix-huit à vingt-quatre mois avant d’entrevoir la fin de la récession. Intéressant. Sur la base de quelles informations Jean-François Copé évalue-t-il la longueur de la crise ? Pourquoi ne coordonne-t-il, ou n’aligne-t-il pas, son discours sur celui du gouvernement ? Etourderie ou volonté d’être plus sincère ? Julien Dray, député socialiste, est l’objet d’une enquête préliminaire. Est-il coupable ? Est-il innocent ? A cette étape, personne n’en sait rien. Mais à son propos, la justice se comporte d’une manière qui n’est pas acceptable dans une République officiellement si attentive aux droits de l’Homme. Le parquet de Paris a choisi de ne pas ouvrir d’instruction à son propos, donc de ne pas désigner de juge d’instruction, mais de procéder par enquête préliminaire. Pourquoi ce choix procédural ? Jean-Claude Marin, procureur général, le justifiait ainsi, le 23 janvier dernier, sur RTL, dont il était l’invité à 7h50 : « L’enquête préliminaire, assurait-il, offre l’avantage d’un relatif secret, d’une confidentialité qui permet de ne pas porter atteinte à l’honneur des gens. » Il ajoutait aussi que par rapport à une instruction en bonne et due et forme, l’enquête préliminaire offrait l’avantage de la rapidité pour le justiciable. Passons ce discours au crible des faits. La confidentialité, d’abord. Le rapport Tracfin qui a justifié l’ouverture de l’enquête est en libre consultation sur Internet depuis le 14 janvier, fruit d’une fuite qui a « scandalisé » Jean-Claude Marin, lors de son passage sur RTL. Il précisait même : « Nous avons ouvert une enquête pour la violation de ce secret. » Les enquêteurs ont-ils trouvé quelque chose ? Confidentialité toujours. La semaine dernière, plusieurs journaux ont publié dans le détail les investigations menées par les policiers de la brigade judiciaire dans cette affaire Dray auprès de commerçants et de particuliers. Ainsi, l’enquête préliminaire, censée être plus protectrice que l’instruction, se mène à ciel ouvert. Qu’en disent les responsables du parquet ? Cherchent-ils toujours l’origine des fuites ? Puisque nous ne sommes pas dans le cadre d’une instruction, et que donc ce n’est pas la loi qui en régit le secret qui est violée, quels sont donc les textes qui sont foulés au sol par ces violations répétées de la confidentialité de l’enquête préliminaire ? Julien Dray est député. Pourquoi n’entend-on aucun membre du parlement sur ce dossier ? Se moquent-ils de l’irrespect absolu des lois qu’ils ont votées ? La situation ne mérite-t-elle pas un commentaire ? Une appréciation ? Julien Dray est député socialiste. Les socialistes, hier, ont dénoncé, sans grand succès il est vrai, ce qu’ils estiment être les atteintes à la liberté dont se rendrait coupable Nicolas Sarkozy. Mais là, ce cas concret de violation des droits d’un justiciable, pourquoi n’en parlent-ils pas ? La rapidité de la procédure, nous dit-on. Le domicile privé de Julien Dray a été perquisitionné le 19 décembre 2008. Depuis cette date, la justice qui enquête sur les comptes bancaires du député ne l’a toujours pas entendu. Nous nous trouvons donc dans cette situation incroyable où un homme, coupable ou innocent, voit son dossier judiciaire étalé en long, en large et en travers dans la presse, sans même avoir pu commencer à dire sa vérité, je précise, « sa » vérité, aux juges de son pays. Mais où vit-on ? Ceci est-il admissible dans la France du XXIe siècle ? N’y a-t-il pas une personne, quelle qu’elle soit, pour s’indigner de cette démarche pratiquement totalitaire ? Comment acceptons-nous cela ? Et pour aller au bout de l’interrogation, comment les journalistes eux-mêmes qui publient des papiers dans des conditions judiciaires si particulières acceptent-ils de le faire sans que l’accusé ait eu l’occasion de s’expliquer ? Certains journalistes se dédouanent en expliquant qu’ils ont sollicité Julien Dray, mais qu’il ne veut pas leur répondre. En effet, donner des interviews dans des journaux reviendrait pour le justiciable à s’exprimer dans la presse avant d’avoir pu parler à ses juges. D’une part, il n’est pas certain que ceux-ci apprécieraient. Le dossier judiciaire pourrait s’en trouver alourdi. D’autre part, le justiciable s’exprimerait à l’aveugle, ne sachant pas exactement ce que la justice lui reproche. Enfin, au plan des principes, mais que c’est désuet d’invoquer des principes, que c’est bête, que c’est sot les principes, la morale et le reste, enfin au plan des principes, on peut concevoir que parler à ses juges doit précéder le dialogue avec les journalistes. Je le répète. Dans ce papier, comme dans ceux que j’ai écrits sur le procès d’Yvan Colonna, ce n’est pas l’accusé ou le suspect qui en est le centre. Donc, ce ne sont pas l'innocence ou la culpabilité qui sont ici scrutées. Ce qui préoccupe, c’est le fonctionnement de la justice, l’irrespect des lois qui en régissent le fonctionnement et la souffrance, la violence, l’inhumanité, qui se dégagent de la marche de l’institution. Je n’invente rien, je cite seulement le dernier livre d’Alain Juppé, « Je ne mangerai plus de cerises en hiver », publié chez Plon, page 146 : « Je ne souhaite à aucun de mes ennemis (mais qui mérite vraiment ce nom ?) de tomber dans les mains de la justice. Machine inhumaine, ai-je-dit. Je maintiens. Inhumaine surtout dans sa relation au temps. Dans aucune autre institution humaine on ne dispose du temps d’autrui avec autant de désinvolture. On me répondra que c’est une garantie de sérieux, de sérénité. J’aimerais en être sûr. » Nouveau dossier, ce week-end, dans Le Monde, sur la liberté que l’on assassine. Cette phrase de Frédéric Schlesinger, directeur de France Inter : « Lorsque j’entends dire qu’Inter est une radio de gauche, cela me fait rire. » Ah bon, pourquoi? Jean-Michel Aphatie
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