Elections en Iran
: Obama s’en lave les mains !
La contestation continue en Iran. Cet après-midi, les partisans de Mir
Hossein Moussavi vont défiler une nouvelle fois. S’il donne parfois
l’impression de plier, l’énigmatique et complexe pouvoir iranien ne semble
pas prêt de céder. Dans ce contexte délicat, les grandes diplomaties du
monde prennent leurs marques. Les mots, les attitudes, rien ne relève du
hasard. Le calcul révèle les hommes, dévoile les valeurs, souligne les
intelligences, suggère les lâchetés.
Dans cette affaire, les Russes ne surprennent pas le monde. Depuis hier,
Mahmoud Ahmadinejad, ancien et peut-être nouveau président iranien se trouve
à Ekaterinbourg, dans l’Oural. Il participe à un sommet de l’OCS
(Organisation de coopération de Shanghaï) et a profité de l’occasion pour
faire de belles photos avec le président russe, Dimitri Medvedev. Le seul
fait d’accepter de poser sur une photo vaut évidemment acceptation du
résultat de l’élection présidentielle iranienne pour la partie russe. Pour
qu’il n’y ait aucune équivoque, le ministère des Affaires étrangères de ce
pays a fait savoir qu’il regardait la situation actuelle comme une « affaire
intérieure iranienne ». Donc, la Russie soutient Mahmoud Ahmadinejad et
n’est pas prête à risquer le moindre rouble, ni même un peu de salive pour
soutenir, fût-ce moralement, les Iraniens qui défient leur pouvoir.
De manière inattendue, et de façon tout à fait spectaculaire, la Russie a
été rejointe sur cette ligne de le neutralité par Barack Obama soi-même,
lui-même, tel qu’en lui-même nous ne le connaissons pas encore, politique
froid et insensible à l’émotion d’une contestation populaire. Voici les
propos de Barack Obama, président des Etats-Unis, prononcés sur la chaîne
CNBC et reproduits dans une dépêche AFP éditée à 1h26 ce matin, heure
française :
« Ce que je dis, c’est : écoutez, c’est aux Iraniens qu’il appartient de
décider. Nous n’allons pas nous en mêler. » « Mon approche, c’est :
attendons de voir. » « Je pense qu’il est important de comprendre que la
différence en termes de politique réelle entre MM. Ahmadinejad et Moussavi
n’est peut-être pas aussi grande qu’on ne l’a dit. »
Cette dernière phrase possède sa dose de bon sens. Le combat oppose en Iran
deux partisans d’un pouvoir théologique, deux défenseurs de la possession de
l’arme nucléaire, deux nationalistes qui souhaitent conférer à leur pays un
rang privilégié dans la marche du monde. Ce qui différencie, en revanche,
MM. Ahmadinejad et Moussavi relève d’une conception de la vie en société et,
pour autant que l’on puisse en juger d’ici, ce qui n’est pas facile, une
approche différente de la liberté individuelle dans une organisation
politique islamique. Si le rapport international entre l’Iran et l’Occident
ne se trouverait pas fondamentalement bouleversé par l’accession de Mir
Hossein Moussavi au pouvoir, le sort des Iraniens, leur vie quotidienne,
pourraient être, eux, largement différents. Pour une part, et sans choisir
entre les dirigeants, il est difficilement acceptable d’entendre un
président américain se montrer à ce point indifférent à des revendications
individuelles.
Cette manière de se laver les mains, « nous n’allons nous en mêler », «
attendons de voir », est choquante, et inappropriée. S’il ne s’agit pas de
suggérer une prise d’armes, on peut au moins attendre du président de la
plus grande démocratie mondiale un soutien fût-il minimal aux
contestataires, une position simple de critique du processus électoral,
l’expression d’un doute quant à la sincérité du scrutin.
Le choix de Barack Obama d’abandonner les Iraniens à leur sort traduit deux
choses sûrement plus complémentaires que contradictoires. Le cynisme d’une
part, composante indispensable de la vie publique en général et de la
diplomatie en particulier, mais que l’on ne gagne jamais à étaler de manière
aussi complaisante. Le manque de maîtrise ensuite, de quoi exactement on ne
sait trop, soit de ses propres sentiments, soit d’un timing propre à servir
une image politique, celle des Etats-Unis défenseurs de la liberté dans le
monde, accessoirement la sienne, celle d’un président capitalisant un
extraordinaire espoir sur une pratique politique différente. Dans les deux
cas, cette sortie choquante montre une part d’Obama que nous ne connaissions
pas, qui peut inquiéter, voire décevoir le cercle large des adorateurs du
nouveau président américain.
Reste la France. Nicolas Sarkozy a, de Libreville, au Gabon, où il assistait
aux obsèques du président Bongo, fait une déclaration qui tranche avec la
prudence des uns, les calculs des autres, et la compromission de tous. «
L’ampleur de la fraude électorale, a dit le président de la République
française à propos de l’élection iranienne, est proportionnelle à la
violence de la réaction. »
Les mots sont très forts. On peut penser qu’ils engagent la diplomatie
française. Evoquer la fraude électorale et surtout son ampleur revient à
dénier la légitimité de Mahmoud Ahmadinejad, et donc à s’engager dans le
refus de la reconnaissance de sa réélection. Le choix de tels mots place la
France en tête de la contestation. Choix courageux, lourd de responsabilité,
mais aussi forme de fierté car des gens trouvent la mort dans les rues de
Téhéran pour cette seule raison qu’ils veulent être libres. Ce combat-là,
tout de même, mérite deux ou trois jours de soutiens. Peut-être, demain,
après demain, rentrerons-nous, nous aussi, dans le rang. Au moins, une fois,
des choses sincères et justes auront-elles été dites.
Il faut noter toutefois une singularité dans l’expression du président de la
République. Les propos cités, il les a bien tenus. On en trouve trace,
notamment, dans une dépêche « urgente » datée de Libreville et diffusée par
l’AFP à 16h45. Curieusement, les propos diffusés hier soir sur les
principales chaînes de télévision et ce matin sur les radios que j’ai pu
entendre, ne sont pas exactement ceux-là. Devant les micros et les caméras,
le soutien aux manifestants est exprimé, le doute quant à la sincérité des
opérations électorales est présent. Mais publiquement, dans la voix telle
qu’on l’entend, le président ne parle pas de « fraude électorale » et
n’évoque donc pas non plus son « ampleur ». Il semblerait, rapide enquête
faite, que les mots figurant dans les dépêches aient été prononcés avant que
les appareils d’enregistrement ne tournent. Ces propos, Nicolas Sarkozy,
encore une fois, les a tenus, et tenus publiquement. Mais quand la lumière
s’allume, ils différent légèrement. Sauf erreur, et sous réserve d’une
preuve qui m’aurait échappé, il ne répète pas le terme de « fraude
électorale », et ne la qualifie donc pas, ce qui élargit un peu le champ de
la diplomatie pour la suite.
Loin de ces subtilités, qui ont leur importance, des Iraniens courageux
défileront encore aujourd’hui pour conquérir leur liberté. Par l’esprit,
nous sommes avec eux.
Jean-Michel Aphatie
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