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27/10/08 Jean-Michel Aphatie
Les juges doivent rendre des comptes

La crise économique poursuit ses ravages. Dans toutes les nouvelles, mauvaises, du jour, la fermeture des usines Renault et Peugeot donne la mesure de l’angoisse et des dangers. Dans l’imaginaire collectif, ces entreprises sont des colosses, le socle sur lequel repose notre société industrielle. Le socle se fissure. Devant Jacques Attali, ce matin, invité de RTL à 7h50, j’ai volontairement employé l’expression de débâcle économique. Il ne s’agit pas d’être pessimiste pour le plaisir de l’être, mais de nommer au plus près de ce qu’elle est la réalité que nous vivons.

Ce matin, pourtant, ce n’est pas à cela que je voudrais consacrer ce billet. J’ai lu hier, dans Le Parisien, une page qui m’a glacé, indigné, et l’histoire qui s’y est imprimée s’est presque perdue, durant le week-end, dans l’avalanche des informations judiciaires, au moins aussi noire que les informations économiques. La page 15 du quotidien était ainsi titrée: « Rebondissement dans l’enquête sur les meurtres de Bourgogne ». On apprenait dans le papier qu’entre 1984 et 2005, « douze meurtres ou disparitions de jeunes femmes restent toujours sans solution dans un triangle entre Châlons-sur-Saône, Le Creusot et Mâcon. »

Les énigmes judiciaires, hélas, sont nombreuses. Mais celle-ci est particulière. On apprend en fait que pendant des années, la justice, c’est-à-dire des magistrats, c’est-à-dire des agents de l’Etat, la Justice donc, n’a pas fait son travail. Elle a négligé d’expertiser des scellés, de procéder à des analyses ADN, d’inventorier les indices recueillis sur les lieux du crime. Le papier nous apprend qu’il a fallu l’entêtement des familles pour que ce minimum-là soit réalisé.

Et là, surprise. Après des années de surplace, la justice française, honteusement défaillante, a trouvé de quoi nourrir trois de ces douze dossiers de traces d’ADN masculins. Du coup, des comparaisons vont être effectuées au sein du fichier national, bref, une enquête va être menée.

La nausée se manifeste à la lecture d’un tel article. Un ou plusieurs criminels sévissent dans cette région depuis plus de vingt ans. Le fonctionnement normal de la justice aurait-il pu éviter un ou deux, ou plusieurs autres des douze crimes commis ? Comment expliquer et justifier que les pièces n’aient pas été analysées plus tôt ? Protections particulières ou grave insuffisance professionnelle ?

On aimerait qu’une enquête sur ces non enquêtes soit ouverte. On voudrait que des responsabilités soient établies et des fonctionnaires fautifs identifiés. On voudrait que des sanctions viennent authentifier cet épouvantable ratage judiciaire. Au lieu de cela, nous aurons très probablement l’oubli, ou bien les analyses totalement inutiles et parfaitement irritantes sur le « système », comme si les institutions fonctionnaient toutes seules, sans femmes et sans hommes pour identifier leur action.

Cette histoire rappelle celle d’Emile Louis, ce tueur en série que la justice exercée au nom du peuple français, à Auxerre, s’est acharnée à ne pas attraper pendant de longues, longues années, lui permettant ainsi de poursuivre son horrible besogne. Difficile aussi de ne pas penser à la défaillance de l’institution à Toulouse, dans le dossier de Patrice Allègre, sans oublier, mais comment l’oublier, le fiasco d’Outreau.

Jamais dans ces histoires des juges précis n’ont rendu des comptes, ni connu des sanctions. On peut rester coi devant le sentiment d’impunité qui se dégage de la marche de la justice. Bien sûr, ce métier est l’un des plus difficiles dans la société. La confrontation permanente à la douleur et aux drames peut enrayer les intelligences les plus solides. Évidemment, la société française ne consacre pas suffisamment de ses ressources à une institution cardinale pour son bon fonctionnement. Mais tout ceci pesé, demeure aussi l’irréfragable responsabilité de ceux qui, en cette matière essentielle, défaillent totalement dans l’accomplissement de la tâche que la collectivité attend d’eux.
Recouvrir d’un voile opaque cette question pourtant essentielle revient à entretenir l’institution dans ses travers et ses manquements, ce qui ne rend service à personne, ni à la société, ni aux citoyens en attente de justice, ni à l’institution qui effraie parfois davantage qu’elle ne rassure.

Jean-Michel Aphatie

 

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