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5/10/09 | Jean-Michel Aphatie |
Comment privatiser La Poste sans jouer au kamikaze ? Les chiffres seront connus aujourd’hui, mais il semble bien que la « votation citoyenne » concernant le futur statut de La Poste ait connu un franc succès. Deux millions de personnes auraient ainsi glissé un bulletin dans une urne, assurent les organisateurs. Pas mal, deux millions de personnes. Cette « votation citoyenne » porte en elle plusieurs types de débats. Le premier est soulevé avec raison par les dirigeants de l’UMP et les ministres concernés au sein du gouvernement. La question posée, disent-ils, était fausse, donc le débat est mal posé. Reprenons dans l’ordre. La question posée était la suivante: êtes-vous pour ou contre la privatisation de La Poste ? Evidemment, la réponse est non. Et la question, disent les représentants de la majorité, est malhonnête puisque personne ne veut privatiser La Poste. Si c’était le cas, dit drôlement le ministre de l’Industrie, Christian Estrosi, je m’inscrirais aussitôt à la CGT puisque je suis contre. Le premier problème est là. Et le second aussi d’ailleurs. Dans ce pays, dans d’autres aussi peut-être mais nous ne les habitons pas, la parole politique est fortement dévalorisée sur ce sujet. Deux exemples récents qui ont martyrisé les esprits et qui pèsent dans le débat autour de La Poste. Le premier est connu. Il concerne GDF. La main sur le coeur, le ministre de l’Economie en charge de ce dossier à l’époque avait juré que jamais l’Etat ne descendrait en dessous de 50 % dans le capital du gazier français. Elle est aujourd’hui de 34 %. Et entre temps, le ministre de l’Economie est devenu président. Ceci n’a rien à voir avec cela, bien sûr, et La Poste, nous dit-on, n’est pas GDF. Simplement, pour la confiance, tout cela n’est pas terrible. Autre exemple, moins cité. Lors de la campagne électorale pour les élections législatives anticipées de 1997, Lionel Jospin, qui allait les gagner, assurait que jamais sous sa gouvernance France Télécom ne serait privatisée. Et puis, une fois installé à Matignon, les responsables de France Télécom sont venus lui expliquer que soit l’Etat alignait les milliards pour que la société puisse résister à la concurrence, soit il ouvrait le capital. Et de toutes les façons, ajoutaient les dirigeants du France Télécom d’alors, mieux vaut ouvrir le capital car ce sera plus facile pour nouer des partenariats en Europe et dans le monde. La force du raisonnement plus le vide des caisses ont conduit le gouvernement de Lionel Jospin a introduire France Télécom en Bourse dès le mois de septembre 1997. Le ministre en charge de l’opération à l’époque s’appelait Dominique Strauss-Kahn, un dirigeant socialiste qui a quitté la politique française depuis. Un temps majoritaire, l’Etat est devenu assez vite minoritaire, pour ne plus posséder aujourd’hui que 26 % du capital de l’entreprise. On comprendra aisément que cet exemple-là ne renforce pas plus que le précédent la confiance dans la parole gouvernementale. Pour être honnête, d’ailleurs, et complet, soulignons que France Télécom est plutôt une réussite industrielle – précisons bien industrielle – puisque dans ce monde au fort potentiel de croissance la société française demeure un des grands acteurs du secteur. Revenons à La Poste. Elle a besoin d’argent. Les caisses sont plus que vides, c’est-à-dire absolument vides. Par le miracle de l’endettement, le gouvernement pense lui apporter l’année prochaine 1,2 milliard, puisé dans le néant du trou budgétaire, la Caisse des dépôts étant priée d’apporter pour sa part 1,5 milliard d’euros. C’est pour permettre cet apport d’argent que le statut juridique doit changer, explique le gouvernement. Soit. Ce n’est pas indispensable. Disons que c’est plus moderne. Mais il paraît évident à tout le monde que quand La Poste aura besoin de nouveaux capitaux, l’Etat ne pouvant plus suivre, des capitaux privés seront sollicités. Et à un moment, le verrou des 50 % du capital sautera ici comme il sautera ailleurs. Il n’est donc pas extravagant de dire qu’à terme, un terme inconnu de tous, le changement de statut juridique de La Poste peut déboucher sur la privatisation de la société. Le dire n’est ni idiot, ni sot. Ensuite, se pose une autre question. La privatisation de La Poste est-elle en soi une mauvaise chose ? Ou bien, autre question, ne pas la privatiser risque-t-il de la faire disparaître ? Ces questions-là aussi se posent, du moins de manière rationnelle. Quant à les poser dans le débat public, on se demande bien quel kamikaze s’y risquerait. Reste une dernière interrogation : l’organisation d’un référendum sur le sujet. Alors là, c’est la poilade. Dans un accès incontrôlé de démocratie directe, le président de la République a voulu que des référendums d’initiative populaire puissent être organisés en France. Depuis que la Constitution a été révisée en ce sens, le gouvernement et le parlement, donc le président aussi, évitent de voter les lois organiques qui permettraient l’organisation de tels référendums. Encore une attitude susceptible de nourrir la confiance dans la parole politique. Au demeurant, de tels référendums sont-ils souhaitables ? Nous vivons depuis les origines de la République sous le régime du mandat représentatif, et non pas impératif. Pour voir les nuances, tapez les mots clés sur un moteur de recherche. Organiser des référendums sur des sujets précis serait bien sûr démocratique, mais nous changerions alors l’esprit de cette démocratie, et cela, je ne suis pas certain que quiconque l’ait anticipé, ou y ait même réfléchi. Ce qui est une autre manière d’évoquer la confiance que fabrique ou pas la politique en France. Terminons sur cette notion de confiance sans laquelle l’action publique ne peut être que complexe et chaotique. En Allemagne, en Espagne, en Grande -Bretagne, tous les titulaires du pouvoir exécutif ont été réélus au moins une fois depuis la crise pétrolière des années soixante dix. En France, jamais. Etonnant, non ? Jean-Michel Aphatie
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