www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

1/4/09 Jean-Michel Aphatie
La magistrature française : un monde                                secret

Le titre de la page 10 du Monde daté de ce 1er avril possède une force particulière, et ce n’est pas l’indifférence quasi générale à cette affaire qui doit modifier le jugement. Le titre, le voici : « Le président du procès Colonna a été écarté des cours d’assises ». Voilà qui résonne comme un désaveu non seulement de la conduite du procès par le magistrat Didier Wacogne, mais aussi du verdict qui l’a conclu. Très vite, Jean-Claude Magendie, premier président de la Cour d’appel de Paris, a démenti que le responsable du procès Colonna ait fait l’objet d’une sanction, et justifié la mise à l’écart de Didier Wacogne, réelle et effective à partir de septembre, par la nécessité de renouveler les effectifs. Pour bien se faire comprendre, Jean-Claude Magendie a parlé de « désinformation », à propos de l’article du Monde, son titre surtout, suggérant par là qu’en tant que premier président de la Cour d’appel de Paris, il n’y avait rien de particulier à dire sur le déroulement du procès Colonna.

Cet épisode suggère une question : que savons-nous, dans la démocratie française, de la magistrature ? Des débats qui l’agitent ? Des amitiés et des inimitiés qui la structurent ? La réponse est simple : rien. La magistrature en tant que corps apparaît impénétrable. Est-ce parce qu’elle l’est vraiment, impénétrable ? Ou bien aucun observateur, aucun journaliste, n’a-t-il produit l’effort de la connaître de l’intérieur pour la faire connaître à l’extérieur ? Peut-être quelque érudit signalera-t-il un livre vieux de dix, vingt ou trente ans, qui demeure comme une radioscopie du monde judiciaire. Mais, ici, l’interrogation a un autre sens. Résumons-là en quelques questions, ou interrogations.

Les magistrats français ont bien sûr suivi le procès Colonna, et notamment parmi ces magistrats ceux qui ont une expérience des cours d’assises. Qu’ont-ils pensé, en professionnels renseignés par l’expérience, de ce procès, de ces chausse-trappes, des attaques des avocats de la défense, des réponses du président, des attitudes des avocats généraux ? Ont-ils jugé les magistrats qui étaient pris dans la tempête à la hauteur de la situation ? Ou les ont-ils trouvés dépassés par les événements ? Ont-ils repéré, chez le président, personnage central, des erreurs, des fautes, des manquements ? S’ils devaient noter Didier Wacogne, ces magistrats expérimentés, lui donneraient-ils 2/20 ou 16/20 ? Diraient-ils qu’il a fait le maximum ou qu’il a été en dessous du minimum ? Qu’il est un grand magistrat ou un piètre professionnel ?

Autres questions. S’il existe une machine à café au Palais de justice de Paris, ou bien une cafétéria, car les magistrats mangent eux aussi à horaire fixe, comme nous, ont-ils un peu ou beaucoup commenté le procès Colonna au fil de son déroulement ? Si l’on parie sur la deuxième hypothèse, en quels termes l’ont-ils fait ? Ont-ils été laudateurs ou critiques sur leur collègue Wacogne ? Ont-ils été fiers de leur collègue ou bien honteux ?

Tout cela, nous ne le savons pas. La magistrature demeure un monde opaque, clos, secret, remplis de secret et de secrets. Le palais de justice de Paris apparaît lui comme une forteresse, un endroit noir, ou un non lieu pour le commun des mortels, un lieu d’ailleurs que l’on préfère ne pas connaître, car franchir les murs signifie bien souvent problèmes et ennuis. En fait, la magistrature apparaît non pas lointaine mais extérieure à la vie des hommes, régie par des coutumes, des rites, des relations extraordinaires, au sens où elles ne sont pas ordinaires. Nous voyons la justice, nous en constatons les effets, mais nous ne connaissons pas la justice ni ceux qui la font.

En soi, ce trou noir est démocratiquement préoccupant. Il est aussi un problème car il nous conduit à des raisonnements erronés et à des attitudes inappropriées. La marche de la justice est fondamentalement humaine, c’est-à-dire souvent mal assurée, réfugiée le plus souvent dans l'autoritarisme pour masquer ses faiblesses, et heureuse pour cela de l’opacité dans laquelle la laisse le reste de la société. On peut parier que les discussions ont été chaudes, sinon enflammées, lors de ce fameux procès. On devine d’ici, à défaut de les entendre, les cris et les réprobations de ses pairs lorsque Didier Wacogne, superbe de mauvaise foi, cabot de théâtre plutôt que haut magistrat, a répondu qu’il ne lisait pas son courrier avant les audiences pour se débarrasser du contenu d’un témoignage qu’il jugeait contraire à une idée probablement préconçue de ce procès. On devine aussi l'ébahissement et la stupeur des professionnels de la justice devant la dissimulation durant trois longues semaines d’un certificat médical concernant un témoin important. Cela, pour beaucoup, a dû sembler comme une faute professionnelle, une attitude qui n’est enseignée dans aucune école de magistrat, car la triche ne figure pas au programme des magistrats de la République.

On pourrait égrener encore longtemps la liste des étonnements et stupéfactions qu’ont dû éprouver dans le secret de leur corps, de leur corporation pour être juste, celles et ceux qui ont fait de la justice leur métier. Pour conclure ce point, juste ceci. Chacun des magistrats sait sans aucun doute quoi penser d’un procès aux assises qui se conclut par la peine maximale alors même qu’aucune reconstitution n’a été faite de la scène du crime avec les auteurs du crime, et que même cette reconstitution a été refusée, à l’audience, par le président de la Cour d’assises. Existe-t-il ou non des précédents de ce type dans l’histoire judiciaire française ? Est-ce ordinaire ou banal ?

Personnellement, je ne le sais pas, et je ne compte pas, hélas, sur la presse française pour l’apprendre.

Jean-Michel Aphatie
Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme