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29/5/09 Jean-Michel Aphatie
         La politique est retombée dans l’ornière !

Nous sommes à neuf jours du vote des Français pour les élections européennes. Ce vote est programmé pour le dimanche 7 juin, et les sondages qui paraissent ces jours-ci ont l’intérêt de prendre en compte l’état d’une opinion publique au moment même où les diverses sollicitations dont elle est l’objet commencent à produire des effets concrets. Les spécialistes appellent cela la « cristallisation », et c’est même grâce à l’emploi de ce type de mots que l’on comprend qu’ils sont des spécialistes.

Le sondage Opinion Way rendu public ce matin par RTL confirme les tendances observées dans d’autres études. L’UMP patine et perd deux points par rapport au sondage précédent : 26 % contre 28 %. Le PS fait de même : 20 % des intentons de vote contre 21 % la semaine dernière. Le Modem confirme sa troisième place avec 13 % des intentions exprimées, chiffre inchangé, tandis qu’Europe Ecologie de Daniel Cohn-Bendit s’installe à la quatrième place en conservant, elle aussi, son capital précédent, 10 % des intentions de vote. Tout le reste, ensuite, s’éparpille : Front national à 7 % (+1 %), Libertas à 6 % (+0,5 %), NPA à 6 % (=), Front de gauche à 5 % (=).

Tel quel, ce sondage rappelle le climat et l’architecture politique du printemps 2002, celui de l’élection présidentielle, Chirac-Le Pen au second tour, le coup de tonnerre dont chacun se souvient. Ecrire « rappelle » signifie bien que la comparaison a ses limites. C’est dans ces grandes lignes que la photographie d’aujourd’hui rappelle celle d’hier.
Même s’il se trouve en tête des intentions de vote, le parti présidentiel ne semble pas susciter l’enthousiasme et la ferveur. Grosso modo, il pèse aujourd’hui un quart de l’électorat et tend même à voir son influence se réduire au fil de la campagne. Les interventions fréquentes et répétées du président de la République, pas plus que les références incessantes des thuriféraires de l’UMP à sa présidence géniale et formidable de l’Europe, une leçon à la face du monde à en croire l’exégèse, ne changent rien à l’affaire. L’UMP dans cette campagne apparaît poussive et laborieuse, comme le fut en son temps le candidat-président Chirac. D’ailleurs, les 25-26 % du parti majoritaire aujourd’hui intègre un bout du centre qui l’a rallié. Nous ne sommes donc pas si loin des 20 % de suffrages atteints par Jacques Chirac il y sept ans. Cette faiblesse évidente ne peut que procurer de l’inquiétude pour la poursuite de l’action gouvernementale dans le quinquennat.

La gauche dans son ensemble présente, elle aussi, des caractéristiques similaires à ce que l’on a pu observer en 2002. La division des forces en est la première constante. La guerre que se livrent le NPA de Besancenot et le vieux communisme ravalé par la façade Mélenchon est à la fois stupéfiante et ravageuse. Sur le fond d’abord, on ne voit rien qui sépare les deux courants, anti-capitalistes frénétiques tous les deux. Ils pourraient donc s’unir, mais quelque chose dans leur culture profonde les en empêche, le NPA sans doute par peur du pouvoir, les communistes par crainte de la marginalité. L’un plus l’autre ne forment pas un ensemble sérieux, enfermés qu’ils sont dans une contestation qui leur évite toutes propositions sérieuses.

Cependant, et c’est là que l’on retrouve un mécanisme déjà constaté en 2002, leur présence déstabilise le parti socialiste jusqu’au plus profond de ses racines. Quelle pente doit-il privilégier, ce vieux parti fourbu qui doit fournir un effort considérable sur lui-même pour seulement parvenir à réunir tous ses dirigeants sur une même estrade ? Doit-il laisser parler sa veine ouvriériste, rongé qu’il est par le remords de ce qu’il fut jadis, et culpabilisé par le duo Mélenchon-Besancenot ? Ou bien doit-il privilégier la respectabilité que lui ont procurée ses récentes expériences gouvernementales qui lui ont appris que gouverner est infiniment plus difficile que déclamer ?

Comme souvent, et comme constamment depuis l’élimination de Jospin en 2002, les dirigeants socialistes refusent de choisir. Au fil du temps, ils sont sans doute devenus champions du monde de la godille intellectuelle, une pincée de gauchisme ici, un peu de bon sens là, un zeste de responsabilité par dessus, de l’indignation à bonne dose et 30 minutes de bons sentiments à feux doux pour tenter de solidifier l’improbable mélange. Résultat : le gâteau s’affaisse. Au moment où l’opinion arrête ses choix, le kouglof socialiste fait triste figure. 20 %, alors même que le pouvoir agrège contre lui de nombreuses contestations, c’est une forme d’échec assez radical pour ce parti qui se présente comme une possible alternance. L’ombre de la mésaventure survenue à Lionel Jospin obscurcit l’horizon de la rue de Solferino.

Comme 2002, 2009 met à l’honneur un troisième homme. Il n’y a rien de commun entre Jean-Marie Le Pen et François Bayrou. C’est derrière ces figures différentes qu’il faut aller voir pour trouver la stabilité. C’est l’opinion publique, ou une partie de cette opinion, qui cherche perpétuellement un substitut à l’affrontement affligeant des deux principales forces de gouvernement. Bien sûr, il y a quelque chose de vain et de frustrant dans cette recherche. L’identité politique de la troisième force, aujourd’hui comme hier, apparaît flou, imprécise, forte surtout de la dénonciation qu’elle porte, ce qui ne permet pas de voir clairement de quoi elle ferait l’avenir. La troisième force raconte aussi l’histoire d’une solitude. Avec qui s’allierait François Bayrou ? Personne ne le sait, même pas lui. Dans ces conditions, aujourd’hui comme en 2002, le vote pour la troisième force est davantage nourri par le dépit que par l’espoir, par le refus plutôt que par le projet.

2002-2007: voulez-vous une autre ressemblance ? L’abstention, bien sûr. Les Français boudent traditionnellement le scrutin européen. Ils bouderont particulièrement ce millésime. Regardez maintenant les chiffres de l’abstention lors du premier tour des dernières élections présidentielles. 1988: 18,6 % d’abstention. 1995: 21,6 % d’abstention. 2002: 28,4 % d’abstention. 2007: 16,2 % d’abstention. Étonnante litanie des chiffres. Elle dit le malaise politique dans lequel nous plongeons si souvent. Si le chiffre se redresse en 2007, c’est bien parce que de part et d’autre, Sarkozy et Royal, la promesse d’une différence dans l’action politique était entendue et attendue par les Français. Depuis, nous sommes retombés dans l’ornière, à nouveau sans illusions par rapport à la politique, sans doute victimes d’une déprime collective qu'aggrave encore la crise que nous traversons.

Dans ce pays qui aime tant la politique, c’est le désamour qui domine aujourd’hui. Certains jugent que nous sommes proches d’une période révolutionnaire. Manque d’imagination. Pourquoi l’enchaînement d’hier serait-il celui de demain ? Le propre de l’histoire qui n’est pas encore écrite c’est la surprise, l’inattendu. Mais ce qui domine aujourd’hui, en France, et qui n’est pas perceptible à ce point dans les pays qui nous entourent, c’est le manque de confiance, la désolation devant le spectacle et, au bout de la pensée, le désintérêt pour ce théâtre qui n’illusionne pas grand monde.

Jean-Michel Aphatie

 

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