www.claudereichman.com


Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme

A la une

20/5/08

Jean-Michel Aphatie

Des pêcheurs en colère, des députés en goguette

Comment aider les marins pêcheurs, financièrement étranglés par une nouvelle augmentation du gas-oil ? Ils bloquent des ports pour attirer l’attention des pouvoirs publics, et à cette occasion plusieurs reportages relataient leurs conditions de vie professionnelle qui justifient, évidemment, que l’on s’occupe d’eux.

Michel Barnier, ministre de l’agriculture et de la pêche, était l’invité de RTL, ce matin, à 7h50, pour évoquer ce dossier. Que peut faire le gouvernement ? Surtout, que peut-il faire qu’il ne fait déjà ? En effet, le gas-oil est vendu sans taxe aux pêcheurs, qui bénéficient en outre d’exonération de charges patronales et même, pour six mois, salariales. Comment faire plus ? Qu’exonérer encore ? Dans quelles caisses puiser de nouvelles aides ?

A ces questions, Michel Barnier a répondu de manière vague mais volontairement constructive. Nous aiderons les pêcheurs, a-t-il dit en substance, nous ne les laisserons pas tomber, même si Bruxelles, méchante Bruxelles, c’est-à-dire l’Europe, méchante Europe, ne voit pas d’un bon oeil les efforts entrepris. Nous n’accepterons pas, a encore dit le ministre, de voir la pêche disparaître. Belle pétition de principe, qui illustre en même temps les limites de l’action politique.

Au point où nous en sommes, un constat s’impose : l’activité de pêche en mer, dure et dangereuse comme le sont peu de métiers, ne parvient plus à trouver sa vérité économique. Les coûts d’exploitations sont très élevés et la vente des produits faiblement rémunératrice. Dans ces conditions, il faut aider, subventionner, exonérer. D’une certaine manière, nous sommes placés dans une telle situation qu’en approfondissant encore la politique d’aides diverses, nous nous rapprochons de la nationalisation de l’activité. Ce sera bientôt au nom de l’aménagement du territoire, ou encore de la préservation du littoral et des traditions qui y sont attachées, que nous défendrons la conservation d’une activité de pêche en France. Terrible réalité que les responsables politiques évitent de nommer, sans doute parce qu’elle charrie trop d’angoisse.

Autre débat pour lequel encore pas un invité n’est venu spécifiquement au micro de RTL: la réforme des institutions, que les députés commenceront à étudier ce soir.

Tout est irritant dans ce dossier. La réforme, expliquent ses défenseurs, donnera davantage de pouvoir aux parlementaires Pour cette raison, elle serait donc démocratique. Est passée largement inaperçue, ce qui n’est pas un hasard, cette interview au journal Sud-Ouest, ce dimanche, du président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, où il proposait de sanctionner financièrement les députés trop souvent absents. C’est, à ma connaissance, la première fois qu’un président des députés parle ainsi de ses collègues. D’habitude, le corporatisme l’emporte. Pour une fois, il cède. Savez-vous pourquoi ? Parce que lui même, de son perchoir, semble commencer à ressentir de la honte devant ces travées tout le temps vide, sauf au moment des questions d’actualité. Rassurons les inquiets. L’interview a fait flop. Trop incongrue, certainement.

Que voulez-vous, représenter le peuple, en France, n’est pas un job à plein temps. Figurez-vous que l’on peut faire autre chose à côté. Et surtout, aucune obligation d’assiduité. Représenter le peuple peut se faire par intermittence, en dilettante. Belle culture politique, en vérité. On peut comprendre, dès lors, que donner davantage de pouvoir à des parlementaires sans commencer à s’assurer de la régularité de leur présence, c’est largement faire les choses à l’envers.

Par ailleurs, cette réforme institutionnelle prévoit que le président de la République pourra s’exprimer devant les parlementaires. Les gazettes, ce matin, sont remplies de l’argument sarkozyste: tous les chefs d’Etat étrangers de passage en France peuvent s’exprimer devant les députés et pas l’élu de la Nation. Situation anormale à laquelle il convient de remédier.

Ce faux bon sens est acheté les yeux fermés par les amateurs de faux bon sens. Un président de passage en France vient tenir des propos gentils devant des parlementaires qui l’écoutent poliment. On appelle cela de la diplomatie. Un président français qui viendrait devant le parlement français tiendrait des propos sur la politique française. D’une part, il ne serait pas écouté poliment car il n’est pas un monarque des âges passés. D’autre part, il ne pourrait pas lui être répondu parce que l’élu du suffrage universel ne peut être désavoué par la représentation parlementaire. En clair, cet aspect de la révision constitutionnelle est une bouffonnerie qui sera sans doute votée par des députés qui pensent à autre chose, c’est-à-dire à leur deuxième vie professionnelle.

La contradiction existentielle de la politique se trouve là. Elle est, à l’évidence, une activité sérieuse puisqu’elle définit le cadre de la vie collective, ainsi que les valeurs qui l’expriment. Mais en même temps, elle n’est pas exercée de manière sérieuse, ballottée par des considérations opportunistes, allégée par l’oubli des principes et d’un certain code moral sans lequel, c’est l’évidence, il ne peut y avoir de véritable respect.

Jean-Michel Aphatie

 

 
Accueil | Articles | Livres | Agenda | Le fait du jour | Programme