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17/10/08 Jean-Michel Aphatie
L’étrange plainte de Nicolas Sarkozy contre Yves Bertrand, l’ex patron
                        des RG

Si vous êtes migraineux ce matin, ou bien si votre esprit ne supporte que des histoires simples et belles, passez votre chemin. En effet, les longues lignes qui vont suivre mêlent l’ancien patron des Renseignements généraux, Yves Bertrand, ses foutus carnets noirs avec des spirales, le chef de l’Etat Nicolas Sarkozy, sa plaintes contres les spirales noires carnets - je vous avais dit que c’était compliqué -,l’affaire Clearstream et l’hebdomadaire Le Point.

Vous êtes encore là ? Alors, allons-y. Et commençons par le commencement, car dans toutes les histoires complexes, il y a bien un commencement.

En juillet 2004, l’hebdomadaire Le Point affiche à la une un dossier qui, assure-t-il, peut ébranler l’Etat. Il s’agit de ces fameux listings qui prêtent des comptes bancaires clandestins à des personnalités de la société française dans cette fameuse banque de compensation basée au Luxembourg, Clearstream. Il apparaîtra assez vite que ces listings sont faux, trafiqués, truqués. Mieux : l’idée s’impose, assez rapidement, qu’ils ont été établis pour nuire à Nicolas Sarkozy, ancien ministre de l’Intérieur, à l’époque ministre de l’Economie, et surtout engagé dans une bataille avec Jacques Chirac pour le contrôle de l’UMP.

Premier constat: Le Point a été manipulé. Par qui ? Dans quelles conditions ? A ce jour, je ne connais pas la réponse à la question, personne ne le sait et je ne me souviens pas que l’hebdomadaire lui-même se soit beaucoup expliqué sur le sujet. Ai-je manqué des épisodes ? Les rafraîchisseurs de mémoire sont les bienvenus.

Existe-t-il un lien entre ceci et ce qui va suivre ? Franz-Olivier Giesbert et Dominique de Villepin étaient très liés, deux amis proches, une amitié que l’on disait forte. Il est apparu, après le déclenchement de ce qui est devenu l’affaire Clearstream, que les deux hommes sont devenus des ennemis, d’une inimitié à la hauteur de ce que fut leur amitié. J’ai même, à ce propos, un souvenir personnel.

Un matin de mars 2007, donc à quelques semaines du premier tour de l’élection présidentielle, j’avais invité Dominique de Villepin à venir commenter la campagne sur RTL. Il ne mit qu’un condition à sa présence : que Franz-Olivier Giesbert, auteur de la chronique politique à 7h45 durant cette période, ne se trouve pas dans le studio au moment où lui même y pénétrerait. Surpris par la demande, je ne pouvais évidemment y répondre sans en avoir parlé à Franz. Celui-ci ne parut pas surpris et s’éclipsa, ce matin là, sitôt son texte dit, évitant ainsi de croiser Dominique de Villepin qui, pour sa part, attendait à l’extérieur que la voie fût libre pour pénétrer dans le studio.

Le nom d’Yves Bertrand, ex patron des Renseignements généraux, s’est trouvé mêlé, lui aussi, à cette ténébreuse affaire Clearstream. Comment ? Par quel canal ? Je ne le sais plus vraiment. Mais il connaissait plusieurs des personnes impliquées dans cette histoire et il fut aussi proche de Dominique de Villepin, lui même relié par diverses connexions à cette ténébreuse entourloupe.

C’est l’hebdomadaire Le Point, à nouveau, hasard ou pas, qui a publié la semaine dernière les carnets d’Yves Bertrand. Ces carnets, a raconté l’hebdomadaire, ont été saisis par la justice, au domicile du policier, dans le cadre de l’enquête sur l’affaire Clearstream. Le Point a raconté aussi que tout ce qui, dans ces carnets, se rattachait à ce dossier, avait été versé au dossier d’instruction. Le reste des fameux carnets, assez important en volume, se trouvait sous scellé au Palais de justice de Paris. Et c’est là que, mystérieusement, l’hebdomadaire a pu prendre connaissance du contenu des écrits d’Yves Bertrand.

Il s’agit, pour nommer les choses par leur nom, du journal personnel de l’ancien patron des RG, ou de quelques chose qui y ressemble. Des éléments de sa vie privée (liste des courses, par exemple) y côtoient des notes sur des personnalités publiques. Tel que l’a restitué Le Point, ce journal d’Yves Bertrand est nauséabond et écoeurant. Son auteur y apparaît friand de ragots et de rumeurs. Il collecte les bruits les plus vulgaires de la ville et les note avec une perversité qui ne l’honore pas.

Ceci écrit, sauf à vouloir tirer sur l’ambulance, force est de constater qu’Yves Bertrand n’a apparemment pas utilisé cette boue pour salir les acteurs de la vie politique. Qu’il ait consigné cette fange dans ses carnets peut-être condamné sur le plan de la morale, mais aller au delà, en l’état actuel de nos connaissances, paraît difficile.

Donc, Le Point publie des extraits de ces carnets. Et voilà, surprise, que Nicolas Sarkozy, cité de manière choquante, certes, dans ces carnets, porte plainte. Déjà, une plainte du chef de l’Etat, voilà qui n’est pas courant. Mais une plainte contre un journal personnel, qui n’était absolument pas destiné à être rendu public, et qui ne l’est, public, que parce qu’une main intéressée l’a communiqué à des journalistes, voilà qui est encore moins courant.

La justice peut-elle sérieusement enquêter sur des écrits privés, aussi mensongers et calomniateurs soient-ils ? Si l’on établit que ces écrits là ont été distillés, confiés, dans le but de nuire, c’est différent. Mais si ces écrits-là n’ont été que l’expression d’un esprit pervers, malsain, alors que peut dire la justice ?

Véritablement, quelque chose m’échappe dans cette histoire. S’il s’agit d’établir le manque de morale d’un serviteur de l’Etat, soit, disons que la publication des carnets est intéressante. Au passage, notons tout de même que ce n’est pas d’hier, mais largement d’avant hier, que la police, ou certains éléments dans la police, fouille dans les poubelles pour constituer des dossiers. Si la pratique est condamnable, elle est ancienne. Yves Bertrand n’a rien inventé et on ne jurerait pas que la pratique s’est arrêtée avec son départ des RG.

Mais avec la saisine de la justice, sur cette part des carnets qui, rappelons-le, ne concerne pas l’affaire Clearstream puisque celle ci est versée au dossier d’instruction, qu’attend-on exactement ? Peut-on reprocher une « dénonciation calomnieuse » et une « atteinte à l’intimité de la vie privée », termes mêmes de la plainte présidentielle, à quelqu’un qui a inscrit des horreurs moralement condamnables sur des supports qui, apparemment, étaient destinés à demeurer privés et on cessé de l’être non pas par la volonté de l’auteur mais par divulgation de la part de tiers ? En clair, de quoi peut-être reconnu coupable Yves Bertrand, à part de bêtise et de lâcheté ? Et quelle peine encourt-il ?

Il faudra observer attentivement la suite que les juges donneront à la plainte présidentielle. Si j’osais, je formulerais le souhait que des spécialistes de la « caméra cachée » « infiltrent» un journaliste « digne de ce nom » au sein de l’institution judiciaire pour nous renseigner sur sa démarche dans cette circonstance peu banale. Mais il s’agit là, je le précise, d’une plaisanterie. Inutile donc, de saisir la justice pour « ironie calomnieuse ».

Jean-Michel Aphatie


 

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