Le pouvoir avoue son impuissance !
Hier Eric Woerth était l’invité du Grand Jury RTL-LCI-Le Figaro. C’est
avec une franchise rare, et si souvent réclamée, qu’il a énoncé les chiffres
qui disent la situation budgétaire de la France. 140 milliards de déficit
cette année, autant l’année prochaine. Dans ce plongeon vers les abysses des
finances publiques françaises, 30 milliards de déficit en 2010 pour la
Sécurité sociale. Des chiffres abstraits à force d’être exceptionnels, une
situation dégradée comme elle ne l’a plus été, en France, depuis la crise
monétaire des années 20. Et la poursuite d’une forme d’indifférence qui
n’est rien d’autre, au bout du compte, que la mesure de l’impuissance.
C’était bien cela qui était fort, hier soir, lors de l’émission :
l’impuissance. Comment maîtriser la dérive majeure des finances publiques ?
Comment colmater les brèches ? Et ceci, sans même imaginer un possible
retour à un équilibre financier, inatteignable en France avant de très, très
nombreuses années. Eric Woerth a redit devant le Grand Jury qu’il n’était
pas question d’augmenter les impôts, ni les prélèvements pour les branches
maladie ou retraite de la Sécurité sociale. Dont acte. On peut imaginer,
sans être certain de rien, que l’engagement vaudra jusqu’en 2012. Après, ce
sera une autre histoire.
Si l’action publique ne porte pas sur les recettes, peut-elle porter sur les
dépenses ? Les possibilités sont très faibles. La suppression de 150.000
postes dans la fonction publique nationale sur environ 2,5 millions de
fonctionnaires s’avère déjà très complexe, et génératrice de fortes
tensions. Le pouvoir n’a pas les moyens, ni d’ailleurs la volonté, d’aller
plus loin, ou plus vite, dans la réduction du périmètre de l’appareil d’Etat.
Globalement donc, le niveau des dépenses demeurera ce qu’il est aujourd’hui.
L’inflation, entend-on, sera la solution pour réduire les déficits.
Hypothèse plus sotte que réaliste. D’abord, l’inflation ne se décrète pas,
du moins par le pouvoir politique. Ensuite, nos engagements monétaires
européens rendent cette voie difficilement praticable. Enfin, l’inflation
qui n’est que la ruine de l’épargne est la marque et la preuve d’une
économie archaïque, livrée au bon plaisir de l’Etat et irrespectueuse des
citoyens.
Que reste-t-il alors ? L’impuissance, la contemplation du spectacle, ou
plutôt des dégâts. Le pouvoir aujourd’hui, quoi qu’il dise, quel que soit
son volontarisme, est piégé par l’équation financière proposé par les
déficits. Immobile, le voici en danger, et nous avec lui, car les prêteurs
sur les marchés financiers ne manqueront pas de s’inquiéter, à une échéance
plus ou moins éloignée, peut-être plus proche que nous l’imaginons, de cette
dérive non maîtrisée des comptes publics.
Les étapes de la descente aux enfers sont connues car d’autres avant nous
les ont vécues. Argent plus cher sur les marchés de capitaux. Enchérissement
des emprunts, augmentation du coût des intérêts, étranglement financier.
Rendus là, l’alternative est simple, mais cruelle : crise monétaire ou appel
au FMI (Fonds monétaire international) pour obtenir un rééchelonnement de la
dette. Dans le premier cas, c’est la ruine nationale, dans le second la
crise nationale.
Le FMI, aujourd’hui dirigé par qui vous savez, c’est cet ami des mauvais
jours qui vous permet d’obtenir de l’argent quand plus personne ne veut vous
en prêter mais qui enregistre votre pénitence pour être certain que vous le
rembourserez. Coupes drastiques dans la dépense publique, augmentation
conséquente des taxes, impôts, prélèvements. La purge, la souffrance, le
choc.
Certains penseront que j'exagère. Peut-être ont-ils raison. Les jours qui
s'annoncent nous départageront. Mais à ceux là, une réflexion. N’est-il pas
étrange de constater que le dévoilement des pires chiffres que le pays ait
connu depuis des décennies ne suscite ce matin, ne suscitera demain, aucune
inquiétude, aucun débat. Nous continuons à vivre dans le déni le plus absolu
de cette réalité pourtant fondamentale de notre vie collective : la crise de
ce bien communautaire que sont les finances publiques. Et nous pensons nous
en sortir sans mal, sans peine, par magie ? Le retour de ce que nous
refoulons, comme toujours, sera violent.
Jean-Michel Aphatie
|