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4/3/09 Jean-Michel Aphatie
   Procès Colonna : présomption de culpabilité ou                      présomption d’innocence ?

Laurent Le Mesle, procureur général près de la Cour d’appel de Paris, était l’invité de RTL, ce matin, à 7h50. Son intervention était justifiée par les désordres constatés devant la Cour d’assises spéciale qui étudie actuellement l’appel d’Yvan Colonna, condamné en décembre 2007 à la réclusion à perpétuité pour le meurtre du préfet Claude Erignac, assassiné à Ajaccio, le 6 février 1998.

Les désordres d’aujourd’hui sont essentiellement liés à la conduite chaotique du procès par le président Didier Wacogne. Des certificats médicaux qui empêchent la comparution de témoins essentiels paraissent être cachés jusqu’au dernier moment, ce qui handicape le travail de la défense. Le courrier d’un témoin prétendant apporter des éléments nouveaux est négligé. Le manque de curiosité du président face à certains propos tenus à la barre surprend ou étonne. Du coup, l’impartialité du président est questionnée, et avec elle celle de la Cour d’assises spéciale, composée uniquement de magistrats professionnels. Cela conduit la défense d’Yvan Colonna à hausser le ton. Elle s’autorise parfois à verser dans l’outrance, et ceci d’autant plus facilement que le manque d’autorité du président l’y encourage. De proche en proche, le procès devient une cacophonie qui dessert l’idée même de la justice. Certains, observateurs avertis de ces instants où la société révèle ses propres faiblesses au travers du fonctionnement de son institution essentielle qu’est la justice, plaident pour un renvoi du procès.

C’est pour couper court à cette demande encore souterraine que Laurent Le Mesle a souhaité intervenir ce matin. Car c’est lui, procureur général de Paris, qui pouvait seul déterminer du moment et de la pertinence de son intervention. Il a choisi RTL pour le faire grâce à la présence attentive et distanciée de la radio sur ce procès, en la personne de Chloé Triomphe, journaliste chargée des affaires judiciaires au sein de la rédaction. La preuve, encore une fois, que le journalisme est une démarche individualiste qui se fait en équipe.

Particulièrement à l’aise, brillant même, Laurent Le Mesle a dit sa conviction qu’il était dans l’intérêt de tous que le procès aille à son terme, et son espoir qu’il en serait bien ainsi. Selon son raisonnement, les désordres y sont ponctuels, le président capable, et après une période de flottement qu’il impute au caractère particulier de l’appel - la dernière chance du prévenu dit-il -, il espère fermement que la sérénité sera de retour pour la poursuite des débats, qui devraient s’échelonner jusqu’à la fin mars.

La part de langue de bois n’est pas mince dans son exposé, mais Laurent Le Mesle pouvait difficilement tenir un discours inverse. Le seul fait qu’il lui semble nécessaire de tenir un discours public sur ce procès en cours montre combien il est menacé, et combien l’administration de la justice paraît délicate dans ce dossier Colonna.

C’est la deuxième fois cette semaine que RTL évoque le procès Colonna à 7h 50. Lundi, Christine Colonna était l’invitée de RTL, ce matin, donc, Laurent Le Mesle. Rappelons enfin qu’au premier jour de ce procès, le 9 février dernier, nous avions donné la parole à Dominique Erignac, la veuve du préfet assassiné. En quoi ce procès est-il important ? Qu’est-ce qui se joue là, qui justifie cette ouverture de l’antenne aux acteurs de ce drame?

L’administration de la justice, partout, tout le temps, exprime les valeurs réelles d’une société. Quelques principes simples, en France, président à cette administration. Il revient à la justice de prouver la culpabilité de celui qu’elle accuse, et non à celui-ci d’établir son innocence. Si un doute subsiste à l’issue de la confrontation générale que représente un procès, il doit profiter à celui qui est accusé. Depuis longtemps en effet, nous sommes collectivement acquis à l’idée qu’une mauvaise justice est préférable à une injustice.

Le meurtre de Claude Erignac, préfet de la République, représente un traumatisme particulier pour l’ordre social. Un homme a été assassiné et son meurtrier doit être condamné. Cet homme-là représentait la République sur le territoire français, et l’intérêt public de cette condamnation s’en trouve renforcé. Cela cependant, qui est exigeant, ne doit pas faire perdre de vue les principes énoncés plus haut. Il ne faut pas que quelqu’un soit condamné pour le meurtre du préfet Erignac. Il faut que le meurtrier du préfet soit condamné. Et ceci, évidemment, n’est pas la même chose.

Pour ne pas disperser le propos, il est nécessaire de se concentrer sur le procès en appel, en écartant donc le déroulement du premier procès, celui qui a abouti à la condamnation à perpétuité d’Yvan Colonna.

Pour l’instant, c’est-à-dire après trois semaines et demi de procès, l’appel n’est pas favorable à l’accusation. Aucun témoin ne reconnaît en Yvan Colonna l’homme qu’ils ont aperçu, de près ou de moins près, revolver à la main, assassinant Claude Erignac. Un collaborateur de celui-ci a semé le trouble lors d’une audience en affirmant avoir tu des éléments complémentaires pouvant disculper l’accusé. Un policier qui a joué un rôle décisif dans l’instruction se trouve soudainement empêché de témoigner pour cause de maladie. Un expert en balistique émet des doutes sur la crédibilité physique d’Yvan Colonna dans la situation du tireur, le soir du meurtre. Tout ceci, qui est confus, tendrait plutôt à exonérer Yvan Colonna qu’à l’accabler du terrible geste qui lui est reproché. Ajoutons, dans le seul souci d’être complet, des enquêtes mal faites par la police et la gendarmerie, des pistes négligées, des témoins entendus dans de mauvaises conditions. Cela pour conclure ce passage par deux considérations. Le dossier d’accusation ressemble à un édifice fragile, qu’un rien peut faire écrouler. D’autre part, tous les responsables administratifs de cette construction très critiquable continuent d’exercer sans le moindre souci leurs talents, qui dans la police, qui dans la gendarmerie, qui dans la magistrature.

Qu’y a-t-il à charge, indubitablement, dans le dossier Colonna ? D’abord sa cavale de quatre ans. Pourquoi fuir si l’on est innocent ? Et puis, un autre élément l’accuse, la dénonciation dont il est l’objet, en mai 1999, par des membres du commando ayant participé au meurtre de Claude Erignac. A la question que leur posent des policiers: qui a tiré ? ces hommes-là, des Corses, répondent en citant Yvan Colonna. Négligeons le fait que ces aveux ont été reçus dans de mauvaises conditions, pratiquement hors des procédures légales, ce qui est un souci, et retenons seulement la dénonciation pour convenir qu’elle accable Yvan Colonna.

Voilà, de manière synthétique, les éléments du dossier. Au mieux ou au pire, que peut-on en dire ? Qu’ils constituent une présomption de culpabilité. Mais la raison, quels que soient les sentiments, les sympathies, quelle que soient aussi la révolte et le dégoût que suscitent le crime, la compassion que l’on peut éprouver par la très digne et très douloureuse Dominique Erignac, la raison donc, conduit à dire que l’on ne peut condamner un individu, en France, sur une présomption de culpabilité. Cela est impossible. Il ne s’agit pas de dire ici qu’Yvan Colonna est innocent. Il s’agit de dire qu’à cette étape du procès, rien ne vient prouver qu’il est coupable, et dans l’horrible balance que représente toujours un dossier criminel, les pièces à charge paraissent parfois tellement suspectes que la condamnation semble improbable.

J’évoquais tout à l’heure l’intérêt public particulier qui s’attache à ce procès. Le choc politique du meurtre d’un préfet fut tel en février 1998 que les autorités politiques de l’époque ont décidé de mettre tous les moyens en oeuvre pour trouver les coupables. On imagine que la pression a été très forte sur les services de police et de gendarmerie sur l’île pour que l’enquête aboutisse, et qu’elle aboutisse le plus rapidement possible. Nous savons aujourd’hui les désordres que tout cela a créés, et les conditions dans lesquelles des personnes ont été arrêtées.

L’Etat, de ce fait, se trouve profondément engagé dans ce dossier. Pour lui, pour ceux qui le représentent aujourd’hui, l’idée même d’un acquittement possible d’Yvan Colonna doit être inconcevable, inscrite au registre de l’impossible. Ceci représenterait en même temps, pour l’Etat et ses serviteurs, une humiliation et un scandale. Des comptes, sans doute, seraient réclamés. Un désordre public serait créé.

Est-il admissible, cependant, que le souci d’éviter ce désordre conduise les responsables à l’aveuglement judiciaire ? Yvan Colonna doit être jugé en fonction du dossier, de son contenu, des témoignages qui l’alimentent. Il ne peut pas être jugé, et donc condamné, pour préserver un ordre public, des institutions, et pour venger une République souillée par le sang de l’un de ses serviteurs.

Le procès en appel se poursuit donc. D’autres personnes viendront dire leur vérité. Il faudra, au bout du compte, que la décision finale soit irréprochable, étayée, pour éviter que ne s’installe le sentiment d’une mauvaise justice, source d’une indéfendable injustice.

Jean-Michel Aphatie
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