Radiographie du discours présidentiel
Un constat d’échec
Le procédé, ce matin, est simple : des extraits (en italique) du
discours prononcé par Nicolas Sarkozy, hier, devant le Congrès, à
Versailles, cela en respectant l’ordre des propos du chef de l’Etat, suivis
de commentaires aux fins d’explication, d’éclairage, de mise en perspective,
et encore, je suis modeste.
Je l’ai dit, il y a quelques jours, à la tribune de l’Organisation
Internationale du Travail :
Il y a deux types de mondialisation.
Celle qui privilégie la croissance externe, chacun cherchant par tous les
moyens à prendre les emplois et les marchés des autres.
Celle qui privilégie la croissance interne, c’est-à-dire un modèle de
développement dans lequel chacun produisant plus et consommant davantage
contribue au développement de tous.
La première pousse à l’extrême la logique de la compétitivité à tout prix en
recourant à toutes les formes de dumpings, à des politiques commerciales
agressives, à l’écrasement du pouvoir d’achat et du niveau de vie.
La deuxième s’appuie sur l’augmentation de la productivité, l’élévation du
niveau de vie, l’amélioration du bien être.
La première est conflictuelle.
La deuxième est coopérative.
La première oppose le progrès économique et le progrès social.
La deuxième au contraire les lie l’un à l’autre.
Tout l’enjeu aujourd’hui est de faire passer la mondialisation de la
première logique à la seconde.
Existe-t-il, en France, en Europe, dans le monde, un responsable ou un
intellectuel défendant ou théorisant la première vision de la mondialisation
? En existe-t-il un, quelque part, capable de donner vie à la seconde ?
Fonder sa compétitivité non sur des politiques sacrificielles qui
dégradent le niveau de vie, mais sur la recherche d’une productivité globale
par la qualité de son éducation, de sa santé, de sa recherche, de ses
services publics, de sa protection sociale, de ses infrastructures, par sa
qualité de vie, par la mobilisation de toutes ses ressources matérielles et
humaines, par une complémentarité réussie entre l’initiative privée et
l’action publique, c’est au fond ce que la France a toujours voulu faire.
Généralités générales et généreuses. Une sorte de mal français, mais pas
une exclusivité française.
Pourquoi le fossé est-il si grand entre nos idéaux et la réalité sociale ?
Il n’a cessé de se creuser pendant 30 ans.
Pourquoi l’avenir est-il à ce point vécu comme une menace et si peu comme
une promesse ?
Pourquoi les parents ont-ils si peur pour l’avenir de leurs enfants ?
Pourquoi un tel malaise ? Car il y a bel et bien un malaise, et ce malaise
est profond.
Le président de la République, en quelques phrases, pose le diagnostic
de trois campagnes présidentielles fallacieuses et mensongères (1981, 1995,
2007), et en tire à la fin le constat d’un profond malaise qui n’est autre
que la manifestation d’une grave crise de confiance entre les élus et les
citoyens. D’où lui vient cette conscience de l’irréalisme du discours
politique ? Qu’englobe-t-elle exactement ? Figure-t-elle ici pour le seul
plaisir de la rhétorique ? Se sent-il lui même en cause ou bien ce constat
ne vaut-il que pour ceux qui l’ont précédé sur le voie des promesses non
tenues ?
Comment se fait-il que malgré les efforts de tous, et je ne fais pas de
ce point de vue de différence entre la droite et la gauche, comment se
fait-il que l’on ait obtenu si peu de résultats en matière de chômage ?
Qu’il y ait autant d’exclus ?
Que le malaise de la jeunesse soit si persistant ?
Que le malaise des classes moyennes soit si grand ?
Que nous ne soyons pas arrivés depuis 20 ans à mieux nous préparer au
vieillissement de la population ?
Comment se fait-il que nous ayons autant tardé à entreprendre la révolution
verte du Grenelle de l’environnement dont nous savions pourtant depuis
longtemps qu’elle était inéluctable ?
Comment se fait-il que nous ayons autant de mal dans notre pays à préparer
l’avenir ?
Comment se fait-il que nous ayons pris tant de retard ?
Quand on regarde tout ce que la société civile a fait ;
Quand on voit comment la société française s’est transformée ;
Quand on voit la capacité d’innovation dont elle fait preuve ;
Quand on voit ce que le courage, l’énergie, l’intelligence des Français est
capable d’accomplir ;
On se dit que si l’Etat avait joué son rôle de force d’entraînement, de
force de progrès, comme il l’a fait si souvent dans notre histoire, s’il
avait été du côté des entrepreneurs, des créateurs, des inventeurs, la
France aurait résolu beaucoup de ses problèmes et les Français regarderaient
de nouveau l’avenir avec confiance.
Constat d’échec de l’action publique depuis deux décennies. Il serait plus
judicieux de faire remonter le constat à trois décennies, 1979, deuxième
choc pétrolier, qui déséquilibre l’économie française en profondeur et face
auquel la seule parade est le déficit budgétaire, premier budget déficitaire
d’une série ininterrompue à ce jour en 1980, indice irréfragable de
l’incapacité des décideurs politiques à adapter la France à la nouvelle
situation mondiale.
La référence à l’impréparation de la société française à son vieillissement
est un autre aspect de la faillite des politiques menées. Ici, impréparation
vaut imprévoyance, le pire constat d’échec pour l’action publique. Rappelons
que depuis vingt ans en France, la dépense publique s’est toujours située à
un très haut niveau par rapport aux autres pays européens, ainsi que la
fiscalité. On peut en déduire un gaspillage important des ressources du
pays. Est-ce la pensée du président ?
La France a fait dans la durée un double mauvais choix.
Elle aurait dû faire beaucoup d’économies de gestion. Elle ne les a pas
faites.
Elle aurait dû se concentrer sur les dépenses d’avenir. Elle ne l’a pas
fait.
Même idée, reprise, répétée, d’un échec de la politique. Président
lucide ? Ou président déprimé ?
Puis juste après dans le discours, ceci :
Je ne mets pas en cause telle ou telle famille politique, tel ou tel
gouvernement. C’est une responsabilité partagée.
Conclusion typiquement française. Tous responsables, donc zéro coupable.
Mode de préservation des élites observé dans les affaires de financement de
partis politiques, le sang contaminé, le dossier Outreau, et maintenant la
faillite de l’Etat dont le constat a été établi, de manière implicite, par
le président de la République hier.
Oui nous avons un problème de finances publiques.
Oui nous avons un problème de déficits.
C’est un aveu. Rarement, sinon jamais formulé en des termes aussi
simples. Lointaine réminiscence du fameux : « L’Etat est en faillite » de
François Fillon, prononcé le 21 septembre 2007. Deux ans déjà.
Pour résoudre le problème, dit le président,
Nous devons changer radicalement notre façon de poser le problème.
Suit une distinction entre « le mauvais déficit, celui qui finance les
mauvaises dépenses, les gaspillages, l’excès de bureaucratie, les frais de
fonctionnement trop élevés. Ce déficit structurel doit être ramené à zéro
par des réformes courageuses »; le déficit « imputable à la crise
» (...) « qu’il faudra résorber en y consacrant les recettes de la
croissance »; enfin le « déficit qui finance les dépenses d’avenir.
Il n’est pas anormal de financer l’investissement par l’emprunt. Ce peut
être un bon déficit à la condition expresse qu’il permette de bons
investissements. »
Le déficit dit structurel dans la pensée présidentielle peut être évalué à
plus ou moins quarante milliards d’euros par an. Le non remplacement d’un
fonctionnaire sur deux partant à la retraite, chaque année pendant cinq ans,
durée du mandat présidentiel, devait permettre, selon le plan d’origine,
d’alléger la fonction publique d’Etat du coût de 150.000 postes. L’économie
totale était chiffrée à 4 milliards d’euros. C’est donc dix fois cet effort
qu’il faut produire, soit l’équivalent de 1,5 million de postes de
fonctionnaires. Irréaliste. Impossible. Visiblement, la conscience des
masses, des sommes, des enjeux, n’habite pas le discours présidentiel.
Par ailleurs, l’annonce de la volonté présidentielle de ramener le « déficit
structurel » à zéro par des « réformes courageuses » dément cette autre
affirmation présidentielle:
« Je ne ferai pas la politique de la rigueur. Parce que la politique de
la rigueur a toujours échoué ».
Réduire de quarante milliards les dépenses courantes d’un Etat qui vit
au dessus de ses moyens depuis trente ans, c’est une politique de rigueur.
Les « recettes de la croissance » seront affectées au « déficit imputable à
la crise ». Quelle est l’importance du déficit imputable à la crise ? Quel
est son rapport avec les recettes d’une croissance qui demeurera faible
jusqu’à la fin du quinquennat ?
Les investissements, enfin, seront financés par l’emprunt. Autre aveu, très
inquiétant : la somme des produits, impôts et taxes ne suffit plus à assurer
l’avenir du pays.
L’endettement va donc se poursuivre. Il culmine aujourd’hui à plus de 1300
milliards d’euros. Les intérêts des emprunts pour faire face à cette dette
colossale représentent aujourd’hui 45 milliards d’euros de dépenses
annuelles. La barre des cinquante milliards d’intérêts pourrait être
franchie l’année prochaine, ce qui en ferait le premier poste budgétaire en
France, devant l’Education nationale. Ce serait alors le symbole de l’échec
absolu de l’Etat et des dirigeants qui s’y sont succédé depuis trente ans,
parvenus, au bout de leurs actions conjuguées, à dépenser davantage d’argent
public pour l’usure des banques que pour l’éducation des enfants de ce pays.
Au passage, quelques précisions.
Cette distinction entre déficits de plusieurs natures a été présentée à nos
partenaires européens par Christine Lagarde, voilà quinze jours. Ils l’ont
rejetée en bloc, s’en tenant à la position simple d’un déficit unique que
chaque pays doit s’engager à résorber selon un planning réfléchi et
organisé.
Sans le dire explicitement, le discours présidentiel rejette cette
conception des choses. Soit ce rejet est temporaire, soit il provoquera,
s’il est durable, des tensions fortes avec nos partenaires de l’euro,
notamment l’Allemagne.
Enfin, cette phrase : « Je n’augmenterai pas les impôts », est
peut-être sincère. Elle est aussi irréaliste, inadaptée à la situation,
condamnée à être contredite. Ne se trouve-t-il personne dans l’entourage du
président pour l’alerter sur cette évidence ? Ou bien n’entend-il pas
d’éventuels contradicteurs ?
Mercredi, avec le Premier ministre nous procéderons à un remaniement du
gouvernement.
Son premier travail sera de réfléchir à nos priorités nationales et à la
mise en place d’un emprunt pour les financer.
Par antiphrase, le président de la République avoue ne pas connaître à
ce jour les « priorités nationales », puisqu’il invite son gouvernement à y
réfléchir. Il annonce aussi un emprunt, « soit auprès des Français, soit
auprès des marchés financiers » pour les financer.
Cela est généralement retenu par les commentateurs comme la seule annonce,
mais de taille du discours. Emprunter sur les marchés financiers, c’est ce
que la France fait depuis trente ans, de manière continue, soutenue, et ce
n’est pas près de s’arrêter. La seule nouveauté, c’est l’affectation de
l’emprunt aux « priorités nationales ». D’une part, de vagues réminiscences
de finances publiques suggèrent à la mémoire que ce n’est pas compatible
avec les règles actuellement en vigueur de la comptabilité publique. D’autre
part, ce n’est qu’une variante du même aveu, implicite tout au long du
discours : l’Etat français, ruiné, n’a plus les moyens de son développement.
Plus subtile est la référence à l’emprunt auprès des Français. Il s’agit là
d’un appel au patriotisme. Donnez votre argent pour le futur du pays. Retour
à une psychologie des années trente, ou bien cinquante, emprunt Pinay. Ce
geste politique a un coût car le patriotisme dans ces matières est rarement
désintéressé. Pour dégeler l’épargne des Français, il faudra offrir une
forte rémunération aux prêteurs. Ce qui, au bout du compte, peut se révéler
un acte de mauvaise gestion.
Vive la République!
Vive la France!
Conclusion partagée par tous.
Jean-Michel Aphatie
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