Nicolas Sarkozy est-il dépassé par les évènements ?
Nicolas Sarkozy dans le Nouvel Observateur. Thème général : « J’ai changé
». Vieille baderne de la politique et du journalisme politique. Le chef
change, il mute sous l’épreuve. Le nombre de fois où on nous a fait le coup
avec Jacques Chirac... Impossible à dénombrer tellement il a « changé »,
Jacques Chirac. Et Nicolas Sarkozy n’est pas le dernier à tirer sur la
ficelle. Au lancement de sa campagne présidentielle, il avait eu cette
phrase : « J’ai changé ». Eh bien, il vient de rechanger, c’est le Nouvel
Obs’ qui nous l’apprend.
La soirée du Fouquet’s ? « J’ai eu tort ». Le bling-bling ? C’est fini.
Commentaires en boucle. Analyse. Décryptage. L’important, le plus important,
est pourtant ailleurs, dans cette phrase étrange et glaçante, énigmatique,
peu rassurante. « Il faut un temps, explique le chef de l’Etat,
pour entrer dans une fonction comme celle que j’occupe, pour comprendre
comment cela marche, pour se hisser à la hauteur d’une charge qui est,
croyez-moi, proprement inhumaine. »
Je ne saurais personnellement citer un autre chef de l’Etat qui qualifie
ainsi sa fonction d’ « inhumaine ». A quoi exactement pense Nicolas Sarkozy
quand il prononce cette phrase devant les responsables du Nouvel Observateur
? Nous ne le savons pas. Mais son « croyez-moi » inclus dans la phrase
signale bien que des émotions particulières, des faits précis, peut-être des
souvenirs douloureux, légitiment dans son esprit l’emploi de cet étonnant
adjectif.
Faute de mode d’emploi, demeure le décryptage, l’analyse, la pensée
extérieure appliquée à une réalité inconnue. Autant dire la marche à tâtons
dans un tunnel sombre. Risquons-nous tout de même, par intérêt intellectuel,
et aussi par souci de comprendre le mécanisme de pensée de celui qui s’est
hissé au faite de l’édifice démocratique.
Qualifier ainsi son travail, « inhumain », signale d’abord la difficulté
éprouvée, la douleur ressentie. Première alerte. Nicolas Sarkozy
cherche-t-il par là à dire qu’il ne se sent pas toujours à la hauteur de sa
fonction ? Qu’il éprouve parfois ce sentiment vertigineux, dont il ne peut
évidemment s’ouvrir à personne, et dont il laisse seulement entrevoir la
possibilité, d’être dépassé par les événements, vieille formule du langage
populaire qui trouverait là une application littérale?
« Inhumain ». Si le mot vient à l’esprit, c’est que cet esprit-là n’est ni
serein, ni apaisé, ni épanoui. On ne peut pas aimer une fonction que l’on
dépeint ainsi. On ne peut pas y trouver, au moment du bilan, ou bien quand
on passe en revue la totalité de l’activité, du plaisir et du bonheur. Pour
la première fois peut-être, un président de la République en exercice en
France dit publiquement, au détour d’une phrase noyée dans une interview
noyante, qu’il n’est pas heureux. On en connaît qui s’ennuient dans leur
travail. On en connaît d’autres qui ne l’aiment pas. Faut-il ranger Nicolas
Sarkozy dans cette dernière catégorie?
L’aveu est assurément important. Nous aurions tort de le négliger. Il
inquiète pour le présent. L’homme a-t-il au fond de lui, dans la sincérité
de sa réflexion, la ressource mentale et psychologique suffisante pour
assumer la « charge » qui est la sienne? L’aveu, toujours, interroge pour le
futur. Un homme qui décrit ainsi sa fonction peut-il solliciter le
renouvellement de son mandat ? Est-ce souhaitable pour lui ? Est-ce
souhaitable pour nous ?
Jean-Michel Aphatie
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