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27/5/09 Jean-Michel Aphatie

           Shocking ! Sarkozy soufflette la Queen!

La bourde, l’énorme bourde. Selon toutes apparences, la diplomatie française s’est fourrée dans un sacré guêpier.

On nous trompette depuis déjà pas mal de jours que Barack Obama sera en France le 6 juin. A cette date, bien sûr, un président américain ne peut qu’arpenter les plages du débarquement. C’est pourquoi on nous a annoncé depuis pas mal de jours déjà que Barack Obama serait présent, en compagnie du président français, à Omaha Beach, cette longue traînée de sable qui s’étend sur plusieurs communes du Cotentin et qui garde à jamais le souvenir des combattants américains de notre liberté, rebaptisée pour la circonstance Obama Beach, signe que la diplomatie française sait s’amuser, et aussi qu’elle n’était pas mécontente de son coup.

Qu’apprend-on ce matin, notamment en écoutant RTL ? Que nos voisins et amis de la perfide Albion râlent, s’émeuvent et tempêtent. Comment, s’interrogent-ils faussement courroucés dans leurs journaux du jour, la Queen n’est pas invitée ? Quel oubli ! Quel scandale ! Pourtant, rappellent-ils, le sang américain ne fut pas le seul versé ce 6 juin 44. Ces plages de Normandie ont aussi vu mourir une partie de la jeunesse britannique. Et cela, la mémoire ne peut pas l’occulter. Donc, les hommes doivent le célébrer.

Evidemment, les Anglais ont raison. Apparemment, la diplomatie française rêvait d’images où l’on verrait, seuls, Nicolas Sarkozy et Barack Obama, les pans de vestes balayés par le vent de la liberté. Mais la diplomatie française devrait réviser ses classiques. Impossible d’honorer la mémoire des morts sans associer les dirigeants des pays qui ont participé au sacrifice. Ne pas inviter la reine d’Angleterre, voire même le premier ministre canadien, et pourquoi pas l’australien, serait insupportable, et presque honteux. D’ailleurs, c’est ainsi que cela se finira. Nous mangerons notre chapeau et soit la visite des plages sera annulée, soit elle sera élargie.

L’épisode n’a d’intérêt que pour ce qu’il dévoile. Ce loupé trahit une obsession du pouvoir français. Il s’agit, encore et toujours, aujourd’hui comme hier, de se mesurer à la puissance américaine. Nous continuons à vivre dans l’illusion d’un tête-à-tête avec l’Amérique. Nous continuons, au fond de nos consciences, car nos intelligences bien sûr l’ont enregistré, à refuser la domination d’un pays si jeune et sans histoire, deux siècles à peine, des blancs-becs, sur un pays saturé d’épreuves et qui a naguère illuminé le monde par la puissance de ses idées. Alors, chaque fois que nous le pouvons, dans la célébration de l’amitié le plus souvent, mais parfois aussi dans l’opposition, nous organisons des rencontres avec l’Amérique pour montrer à la planète que le dialogue se fait à égalité, entre pairs, entre grands du monde, France et Amérique, car la France ne saurait être en rien inférieure à l’Amérique.

L’entretien du mythe. Combien d’énergie y consacrons-nous ? Hier, c’était De Gaulle qui incarnait la résistance, jusqu’à dire ce que vous savez à l’Otan. 2003, le discours de l’Otan : avec quelle fierté, quelle émotion, l’évoquons-nous dans notre débat public, comme s’il n’aurait pas été possible de dire « non » à l’aventure irakienne avec moins de grandiloquence et davantage de retenue ? Et derrière la critique du retour dans l’Otan, comment ne pas voir les racines principales du refus de la capitulation historique, alors même que le présent légitime et explique amplement la décision.

C’est bien le mythe et la volonté de l’entretenir qui provoquent et expliquent le faux pas diplomatique. Un peu de recul et de froideur dans la gestion de l’évènement aurait dû éviter la bourde. Obama, le 6 juin, en Normandie ? Il ne peut y être seul. Il faut battre le rappel des alliés, élargir le cercle.

Oui, mais si le cercle s’élargit, cela veut dire qu’il n’y a plus de tête-à-tête, et donc que l’on ne tient plus tête. Or, dans l’esprit des décideurs et des organisateurs, l’important n’était peut-être pas tant la célébration de la mémoire que la mise en scène de la rencontre de deux présidents fraîchement installés, partenaires et rivaux à la fois, concurrents et alliés, figure classique de la relation franco-américaine. Pour cela, Omaha Beach n’est pas le bon cadre parce qu’Omaha Beach ne se résume pas à la France et à l’Amérique. Ne pas l’avoir compris, ou bien l’avoir négligé, est pire qu’une bourde, une inconvenance, qui ne peut se réparer qu’en déroulant le tapis rouge pour la Queen.

Jean-Michel Aphatie

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