Shocking ! Sarkozy soufflette la Queen!
La bourde, l’énorme bourde. Selon toutes apparences, la
diplomatie française s’est fourrée dans un sacré guêpier.
On nous trompette depuis déjà pas mal de jours que Barack Obama sera en
France le 6 juin. A cette date, bien sûr, un président américain ne peut
qu’arpenter les plages du débarquement. C’est pourquoi on nous a annoncé
depuis pas mal de jours déjà que Barack Obama serait présent, en compagnie
du président français, à Omaha Beach, cette longue traînée de sable qui
s’étend sur plusieurs communes du Cotentin et qui garde à jamais le souvenir
des combattants américains de notre liberté, rebaptisée pour la circonstance
Obama Beach, signe que la diplomatie française sait s’amuser, et aussi
qu’elle n’était pas mécontente de son coup.
Qu’apprend-on ce matin, notamment en écoutant RTL ? Que nos voisins et amis
de la perfide Albion râlent, s’émeuvent et tempêtent. Comment,
s’interrogent-ils faussement courroucés dans leurs journaux du jour, la
Queen n’est pas invitée ? Quel oubli ! Quel scandale ! Pourtant,
rappellent-ils, le sang américain ne fut pas le seul versé ce 6 juin 44. Ces
plages de Normandie ont aussi vu mourir une partie de la jeunesse
britannique. Et cela, la mémoire ne peut pas l’occulter. Donc, les hommes
doivent le célébrer.
Evidemment, les Anglais ont raison. Apparemment, la diplomatie française
rêvait d’images où l’on verrait, seuls, Nicolas Sarkozy et Barack Obama, les
pans de vestes balayés par le vent de la liberté. Mais la diplomatie
française devrait réviser ses classiques. Impossible d’honorer la mémoire
des morts sans associer les dirigeants des pays qui ont participé au
sacrifice. Ne pas inviter la reine d’Angleterre, voire même le premier
ministre canadien, et pourquoi pas l’australien, serait insupportable, et
presque honteux. D’ailleurs, c’est ainsi que cela se finira. Nous mangerons
notre chapeau et soit la visite des plages sera annulée, soit elle sera
élargie.
L’épisode n’a d’intérêt que pour ce qu’il dévoile. Ce loupé trahit une
obsession du pouvoir français. Il s’agit, encore et toujours, aujourd’hui
comme hier, de se mesurer à la puissance américaine. Nous continuons à vivre
dans l’illusion d’un tête-à-tête avec l’Amérique. Nous continuons, au fond
de nos consciences, car nos intelligences bien sûr l’ont enregistré, à
refuser la domination d’un pays si jeune et sans histoire, deux siècles à
peine, des blancs-becs, sur un pays saturé d’épreuves et qui a naguère
illuminé le monde par la puissance de ses idées. Alors, chaque fois que nous
le pouvons, dans la célébration de l’amitié le plus souvent, mais parfois
aussi dans l’opposition, nous organisons des rencontres avec l’Amérique pour
montrer à la planète que le dialogue se fait à égalité, entre pairs, entre
grands du monde, France et Amérique, car la France ne saurait être en rien
inférieure à l’Amérique.
L’entretien du mythe. Combien d’énergie y consacrons-nous ? Hier, c’était De
Gaulle qui incarnait la résistance, jusqu’à dire ce que vous savez à l’Otan.
2003, le discours de l’Otan : avec quelle fierté, quelle émotion,
l’évoquons-nous dans notre débat public, comme s’il n’aurait pas été
possible de dire « non » à l’aventure irakienne avec moins de grandiloquence
et davantage de retenue ? Et derrière la critique du retour dans l’Otan,
comment ne pas voir les racines principales du refus de la capitulation
historique, alors même que le présent légitime et explique amplement la
décision.
C’est bien le mythe et la volonté de l’entretenir qui provoquent et
expliquent le faux pas diplomatique. Un peu de recul et de froideur dans la
gestion de l’évènement aurait dû éviter la bourde. Obama, le 6 juin, en
Normandie ? Il ne peut y être seul. Il faut battre le rappel des alliés,
élargir le cercle.
Oui, mais si le cercle s’élargit, cela veut dire qu’il n’y a plus de
tête-à-tête, et donc que l’on ne tient plus tête. Or, dans l’esprit des
décideurs et des organisateurs, l’important n’était peut-être pas tant la
célébration de la mémoire que la mise en scène de la rencontre de deux
présidents fraîchement installés, partenaires et rivaux à la fois,
concurrents et alliés, figure classique de la relation franco-américaine.
Pour cela, Omaha Beach n’est pas le bon cadre parce qu’Omaha Beach ne se
résume pas à la France et à l’Amérique. Ne pas l’avoir compris, ou bien
l’avoir négligé, est pire qu’une bourde, une inconvenance, qui ne peut se
réparer qu’en déroulant le tapis rouge pour la Queen.
Jean-Michel Aphatie
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