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20/3/09 Jean-Michel Aphatie
               La spirale maudite

La situation est étrange ce matin. Les défilés, nous en sommes tous d’accord, étaient conséquents hier. Les manifestants exprimaient leur inquiétude, une peur du lendemain, des angoisses face à la crise. Mais que réclament-ils, au juste ? Des augmentations de salaires, disent les syndicats, des assurances pour l’emploi, des possibilités de formations, tout cela ensemble, tout à la fois, sans véritable hiérarchie, ni priorité, un désordre qui justement nous renvoie à l’angoisse.

A cela, le gouvernement fait une réponse complexe, sinon incompréhensible. Aucune concession, aucune offre, aucune ouverture parce que, ont dit par exemple François Fillon sur TF1 hier et Brice Hortefeux sur RTL ce matin, les mesures prises après la première manifestation ne sont pas encore appliquées, elles vont l’être, il faut attendre, mesurer leurs effets avant, peut-être, de prendre d’autres mesures pour aider, soutenir, soulager.

Voilà où se situe l’étrangeté de la situation, c’est que tout ceci paraît un peu irréel. Imagine-t-on sérieusement les entreprises, aujourd’hui, augmenter les salaires, alors même que les carnets de commandes sont au plus bas et la concurrence au plus vif ? Imagine-t-on l’Etat français, surendetté au point d’approcher le moment de l’infarctus, augmenter significativement les bas salaires de la fonction publique ? Pas grand monde, vraiment, ne doit croire ce type de réponse possible. La revendication est formulée, elle possède cette force particulière que représentent les témoignages des fins de mois difficiles et les difficultés à honorer les crédits et les engagements ménagers. Mais dans la conjoncture actuelle, cela ne parait ni réaliste, ni adapté.

D’ailleurs, comment définir une politique adaptée à la période quand on ne sait pas précisément de quoi est faite la période ? Un élément parmi d’autres. Les chiffres et prévisions qui viennent d’Allemagne sont radicalement inquiétants. La production industrielle a reculé, en janvier par rapport à décembre, de 7,5 % outre-Rhin. Une situation que ce pays n’avait jamais connue. Les prévisionnistes revoient leurs chiffres et annoncent pour l’année en cours un recul du PIB de 5 %. Chacun saisit le caractère approximatif de l’estimation. La crise se nourrissant d’elle même, la chute pourrait évidemment être plus importante en Allemagne.

Ce pays, on le sait, est notre premier partenaire commercial. Si l’Allemagne souffre, nous souffrirons à notre tour. Sa chute sera la nôtre, et notre chute, en retour, sera la sienne. Voilà la spirale maudite dans laquelle nous nous trouvons. Voilà le contexte dans lequel il faut situer les revendications.

En regard de ces difficultés, le débat public se fixe souvent sur les bénéfices records de telle ou telle entreprise, ou sur les stock options que continuent de s’octroyer certains dirigeants. Ces comportements individuels sont choquants parce profondément décalés par rapport à la situation générale. Mais il faut veiller à ne pas faire de ces comportements marginaux la règle de légitimation des revendications diverses.

Ce qui manque à notre débat public, c’est un discours de franchise sur une situation économique qui n’est pas maîtrisée et qui se révèle beaucoup plus grave que ne le laissent supposer les propos des uns et des autres. On pourrait donc stigmatiser le manque de courage, de clarté ou de franchise des dirigeants. Mais nous devrions aussi nous interroger sur notre capacité collective à entendre la vérité, ou à préférer, et donc à suggérer, des discours qui l’occultent et l’éloignent.

Jean-Michel Aphatie
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