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13/2/04 | Claude Reichman |
Le séisme déclenché par la condamnation d'Alain Juppé continue de se
propager de proche en proche. Pour avoir annoncé à tort le retrait de celui-ci de la vie
politique, au journal de 20 heures de France 2, à l'heure même où l'ancien premier
ministre, répondant en direct, sur TF1, aux questions de Patrick Poivre d'Arvor, disait
le contraire, le présentateur du journal, David Pujadas, s'est mis de lui-même en
vacances et le directeur de l'information de France 2, Olivier Mazerolle, a dû
démissionner. Il est plaisant de constater à quel point ces deux journalistes ont
calqué leur comportement sur celui de M. Juppé, qui part sans partir tout en partant
mais en restant quand même. M. Pujadas prend en fait quinze jours de congés et cela n'a
rien d'une sanction, tandis que M. Mazerolle reste en place jusqu'à la fin mars et
conservera la présentation de la principale émission politique de la chaîne. On peut s'étonner que des professionnels chevronnés comme MM. Mazerolle et Pujadas aient commis une grave faute professionnelle qu'un simple journaliste stagiaire eût évitée. Certains ont invoqué la concurrence entre TF 1 et France 2, et l'atmosphère électrique qu'elle créerait dans l'équipe d'information de la chaîne publique, qui ne parvient pas à regagner des parts d'audience sur sa rivale privée. Soyons sérieux : la concurrence est partout et elle ne fait pas perdre la tête aux journalistes. La vérité, c'est que cette énorme gaffe est à mettre au compte de la culture d'impunité qui règne aussi bien dans les milieux politiques et gouvernementaux que dans les médias. Il est cocasse de voir le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), par la plume de son président, Dominique Baudis, menacer France 2 de sanctions au motif qu'elle " n'a pas respecté son obligation de bonne information des téléspectateurs ". Ah bon ! Parce que les autres chaînes de télévision et les stations de radio la respectent ? Sur quelque antenne que l'on se porte, on ne voit et n'entend qu'une information frelatée et souvent carrément mensongère. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si les Français ne font majoritairement pas confiance à leurs médias. La famine des temps modernes Chacun peut faire un test simple pour vérifier le bien-fondé de cette défiance. Demandez à n'importe quelle personne sérieuse et de bonne foi si elle a le sentiment que, dans le domaine qui est le sien et qu'elle connaît parfaitement, l'information dispensée par les médias est conforme à la réalité et honnête. A tout coup votre interlocuteur éclatera de rire ou exhalera une vigoureuse colère. Mais voilà, dans la France d'aujourd'hui, rire ou se mettre en colère ne sert à rien. Les médias se moquent éperdument de la vérité et de l'opinion des Français. Leur seul souci est la crédulité de leur auditoire. Tant que les téléspectateurs et les auditeurs gobent tout et restent plantés devant l'écran ou l'oreille collée au poste de radio, la folle saga du mensonge peut dérouler ses fastes maléfiques et pourrir un peu plus le climat politique et social du pays. Mais les choses sont en train de changer. Un homme politique de premier plan est sévèrement condamné, des journalistes de télévision sont sanctionnés, les stations d'information de la radio publique ont été en grève pendant plusieurs semaines. Que se passe-t-il-donc ? Il se passe simplement que la France va de plus en plus mal, qu'aucune réforme véritable ne se fait ni même ne s'amorce et que la colère commence à gagner le peuple. Il se passe aussi que celui-ci ne supporte plus de voir sur les écrans de télévision et d'entendre aux radios les responsables politiques et les journalistes se faire mille risettes, se trouver mutuellement de l'intelligence et du charme et conduire le pays à la faillite, les uns par leur incapacité à gouverner, les autres par leur lâcheté et leur complaisance envers les puissants du moment ou de demain, qui sont d'ailleurs les mêmes. Il se passe aussi que la classe politique et ses affidés vivent confortablement et sans souci tandis que le peuple est en proie aux affres d'une crise économique interminable qui mine les entreprises, massacre l'emploi et fait d'un pays qui était riche un pays pauvre, malheureux, démoralisé et de plus en plus instable socialement. Alors les juges, craignant que la colère du peuple ne les atteignent, finissent pas condamner comme ils le méritent les politiciens malhonnêtes, et les dirigeants des médias, face à une faute à peine un peu plus grave que d'habitude, se résolvent enfin à sanctionner, après beaucoup d'hésitations et avec infiniment de clémence, les coupables. Mais ce n'est qu'un début. Le système est en train de s'effondrer très rapidement. Voilà qu'on parle de l'éclatement prochain de l'UMP, cet étrange parti où tout débat est interdit et qui devait porter M. Juppé à l'Elysée afin de garantir une fin de vie heureuse et une totale impunité judiciaire à M. Chirac. Voilà que s'annoncent des échéances électorales lourdes de menaces pour les tenants du système, qui pourraient se voir à nouveau désavoués dans des proportions qui laisseront le 21 avril loin derrière elles. Voilà qu'autour du chef de l'Etat le premier cercle murmure et dit à mots à peine couverts qu'il n'a plus confiance en lui. Voilà surtout qu'au mécontentement général s'ajoute cette famine moderne qui ne consiste plus à manquer de pain mais de ce qui est de nos jours tout aussi important : les moyens permettant de maintenir un niveau de vie acceptable, de rouler en voiture, de sortir un peu, de gâter les enfants et de prendre des vacances simples mais dignes de ce nom. C'est là toute l'ambition des classes moyennes françaises. Elles se voient aujourd'hui menacées de devoir y renoncer. La condamnation qu'elles se préparent à fulminer sera terrible. Claude Reichman
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