www.claudereichman.com |
Où est passé l'argent des retraites ?
|
10/5/03 | Claude Reichman |
Les Français ont vécu ce qu'il est convenu d'appeler "l'âge d'or
des retraites". Cette époque se termine. Va lui succéder "le drame des
retraites". Depuis une bonne dizaine d'années, les rapports officiels se succèdent
et disent tous la même chose : on va à la catastrophe. Si même les rapports officiels
sont lucides, c'est qu'il y a vraiment le feu au lac ! Et cet incendie n'avait rien
d'imprévu. La cause en est le mode de financement de nos retraites. On a choisi, en
France, la répartition plutôt que la capitalisation. Contrairement à ce que croient
beaucoup de nos compatriotes, il ne s'agit pas du tout d'un débat technique très
compliqué, mais d'une simple question de bon sens et d'un choix politique élémentaire.
Rappelons en quelques mots ce que sont la répartition et la capitalisation. Dans un
système de retraite par répartition, on prélève chaque année aux actifs les sommes
dont ont besoin les retraités et on les distribue aussitôt à ceux-ci. On comprend
aisément que pour être équitable, un tel système exige qu'il y ait toujours à peu
près le même nombre d'actifs que de retraités. Or il se trouve qu'en France, comme dans
la plupart des autres pays occidentaux, il y a de plus en plus de personnes âgées et de
moins en moins de jeunes, au point que ces pays ne parviennent plus à renouveler leur
population par les naissances. Cela se traduit inévitablement par un déséquilibre du
système de retraite par répartition, puisque de moins en moins d'actifs sont contraints
de faire vivre de plus en plus de retraités. C'est ainsi qu'on est passé, en France, de
cinq actifs par retraité il y a une trentaine d'années, à à peine deux actifs par
retraité aujourd'hui et l'on en arrivera à moins d'un actif par retraité dans une
trentaine d'années. J'aimerais qu'on m'explique comment un actif pourra gagner sa vie et
celle de sa famille, investir pour se loger ou pour son travail, s'offrir à lui-même et
aux siens une assurance maladie publique ou privée et en même temps faire vivre un
retraité pendant de longues années, puisque aussi bien l'espérance de vie dans nos
contrées s'accroît d'un trimestre par an, ce qui signifie qu'on gagne un an d'espérance
de vie tous les quatre ans ! Chacun comprend qu'il s'agit là d'une totale impossibilité.
Et c'est pourtant vers cette situation que nous nous dirigeons allègrement ! A l'inverse, la capitalisation consiste à épargner régulièrement certaines sommes d'argent et à les placer, de manière à ce que les intérêts produits et cumulés, c'est à dire ajoutés au fur et à mesure au capital ainsi constitué, soient disponibles au moment où l'on prend sa retraite et constituent la pension de l'intéressé qui disposera en outre du capital accumulé. Faut-il que les Français aient perdu tout sens des réalités pour accepter de se laisser imposer un système par répartition qui les condamne tout simplement à ne percevoir aucune retraite ! Les Français, un peuple aux origines paysannes encore bien avérées dans leur tréfonds collectif ! Les Français nourris de La Fontaine ! Mais aussi les Français soumis à un véritable lavage de cerveau permanent depuis un demi-siècle ! Oui, c'est un véritable attentat contre notre mentalité, notre tradition, notre intérêt sacré que l'on a commis. "On" ? Qui est-ce, "on" ? Patience. Le cerveau dûment lavé - et même lessivé - les Français s'imaginent pour la plupart que l'argent de leur retraite existe quelque part. Ils sont persuadés d'avoir, leur vie durant, cotisé pour eux-mêmes. Profonde erreur. Ils ont cotisé pour les autres, et leur argent a disparu. Ils ne sont riches que de l'espoir de voir l'Etat parvenir à contraindre les générations suivantes à cotiser pour eux. Pour la contrainte l'Etat s'y entend. Mais si les générations suivantes ont disparu, c'est à dire ne sont plus assez nombreuses, comme c'est le cas en France, que peut l'Etat ? Rien, strictement rien. Sauf mettre le système en faillite. C'est exactement ce qu'il se prépare à faire en s'abstenant d'agir aujourd'hui. Mais à évoquer l'Etat, on fait appel à une notion de permanence qui n'est qu'apparente. L'Etat s'appelle toujours l'Etat, mais ceux qui le dirigent aujourd'hui ne sont pas ceux qui le dirigeront demain, quand il faudra assumer la faillite. C'est ce qui donne aux dirigeants actuels leur tranquille assurance. Ils ne seront plus là quand les sanctions tomberont. En se comportant ainsi, ils ne font rien d'autre que d'imiter le charlatan de La Fontaine qui se faisait fort d'apprendre à parler à un âne. "Le Prince sut la chose : il manda le Rhéteur. "J'ai, dit-il, dans mon écurie "Un fort beau roussin d'Arcadie : "J'en voudrais faire un Orateur. "- Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme. "On lui donna certaine somme. "Il devait au bout de dix ans "Mettre son âne sur les bancs ; "Sinon, il consentait d'être en place publique, "Guidé le hart au col, étranglé court et net, "Ayant au dos sa Rhétorique, "Et les oreilles d'un Baudet." Et comme un courtisan du Prince lui faisait valoir qu'il avait toute chance de finir pendu, le charlatan répliqua : "Avant l'affaire, le Roi, l'Ane, ou moi, nous mourrons." C'est tout le calcul de nos politiciens. Et il a les meilleures chances de se réaliser, même si l'un d'entre eux qui aura survécu peut être amené un jour à payer pour tous les autres. Ce qui fera une belle jambe aux retraités spoliés ! Esclavage et dictature Le plus extraordinaire est que les dits politiciens qui nous imposent un système de
répartition ont constitué pour eux un régime de capitalisation qui leur offre de
riantes perspectives. Faites ce que je dis, ne faites pas ce que je fais ! Ils ont bien
tort pourtant de se croire à l'abri de la déroute générale. Tout politiciens qu'ils
soient, ils ignorent superbement l'histoire. Quand le malheur s'abat sur un peuple et
provoque sa colère, il ne laisse rien subsister des privilèges que certains croyaient
s'être réservés pour l'éternité. Le premier geste des Français spoliés de leur
retraite sera de confisquer les réserves qu'ont constituées, pour les pensions de nos
élus, l'Assemblée nationale et le Sénat. Cela n'apportera aucune amélioration
financière à la situation, les sommes en jeu étant sans commune mesure, mais cela
calmera un peu la fureur des volés. La punition est la seule consolation face à
l'irrémédiable. Claude Reichman Extrait du livre " Le secret de la droite ", de Claude Reichman (Editions François-Xavier de Guibert)
|